2018 12 22 : Grass – film

Que je vous l’avoue : j’ai bien failli ne pas aller voir ce film. Fuir ce film, car fusionnellement encensé par Les Cahiers du cinéma, Libération et Télérama, la sainte Trinité du cinématographiquement correct, merci bien ! Eviter ce film de Hong Sang-Soo car l’Obs le nomme « Le Rohmer sud-coréen », or moi Rohmer, pardonnez-moi, je passe au large.

Ce qui m’a conduit en salle et m’a évité de finir l’année dans la stupide ignorance d’un beau talent, c’est sa nationalité coréenne, or moi la Corée, pardonnez-moi, je l’aime.

Ceci étant, le scénario, l’argument, est minimaliste : dans un bistrot paumé, une cliente habituée (Min-Hee Kim) et apparemment un peu paumée elle aussi, observe les habitués, paumés tout autant, écoute et note (dans son ordinateur bien sûr) leurs conversations.

Bon, qui d’entre nous n’en a jamais fait autant ? Combien de fois n’ai-je failli passer outre à la discrétion la plus élémentaire pour enregistrer voire filmer des scènes de café, brasserie, salle d’attente et des destinées un peu perdues, pour y trouver matière, sinon à inspiration, en tout cas à imagination ? Mais de là à en faire un film, quelle gageure.

Gageure tenue et superbement réussie cependant. L’image est en noir et blanc, et alors ? Nos souvenirs de ces lieux interchangeables ne le sont-ils pas aussi ?

Mais ce qui est surprenant et finalement fascinant, c’est l’enchevêtrement de l’observation au premier degré et du travail du cinéaste, du montage cinématographique et de l’image aboutie, du projet et du résultat, de l’exercice préparatoire et du spectacle final : seul le 7ème Art sans doute rend convaincant ce genre de télescopage virtuose.

Et puis, quel hommage rendu – sensiblement mais discrètement bien sûr, à la coréenne – à la simple vie commune de simples vivants, à cette subtile dialectique entre la solitude d’individus perdus qui tiennent à le rester et leur présence simultanée et réitérée dans ce lieu public mais retiré du monde.

Et la leçon qui semble s’imposer : que l’Homme étant un animal social depuis les Grecs et même avant, ces solitaires ont besoin de la présence d’autres solitaires pour vivre ; universelle immanence du bistrot !

22 décembre 2018