Si l’on se contente des explications habituellement ressassées sur les causes du cauchemar nazi qui s’empara de nos voisins Allemands de 1930 à 1945 : catalyse entre le traité de paix de 1919 lourd d’humiliations et la fièvre revancharde, crise économique 1929-1932 plus terrible encore que dans les autres pays capitalistes, prise du pouvoir par un fou furieux abominablement doué pour la rhétorique haineuse… alors ce n’est pas la peine d’aller voir ce film.
Mais si l’on continue de s’interroger sur les mécanismes du totalitarisme au plus près des réalités quotidiennes, au premier degré de l’échelle humaine, parmi les individus ordinaires, alors le film de Robert Schwentke nous éclaire (de façon sombre et glaçante) sur l’un des aspects moins souvent évoqués de cette entreprise terroriste qui (comme la plupart des autres d’ailleurs) ne fut vaincue que par la défaite extérieure.
Car le film ne se situe pas dans la période initiale du nazisme, ces années 20 où les illuminés du NSDAP pensaient refaire la grande Allemagne à coup d’Ordre nouveau et d’Espace vital.
Ni dans la période de triomphe des années 30 et début 40 où beaucoup d’Allemands adhéraient à un régime qui avait relancé l’économie, réduit le chômage, obtenu des succès de prestige dans divers domaines, multiplié les grands travaux et finalement vaincu et occupé avec une facilité déconcertante les pays d’Europe centrale et occidentale dont la France, première armée du monde !
Non, l’intrigue nous porte en avril 1945, période cauchemardesque pour les Allemands, à quelques jours de la défaite finale, leur pays quasi totalement occupé, dévasté, les hommes tués, blessés ou prisonniers, les femmes et les enfants plongés dans la violence et les terreurs de toute sorte.
Et c’est là qu’un jeune Allemand peu recommandable et cherchant à survivre dans le chaos va participer et surenchérir au système monstrueux qui est en train de s’effondrer. Car c’est pour survivre que ce soldat en rupture de régiment, Willi Herold (Max Hubacher), risquant à chaque contrôle d’être exécuté sommairement pour désertion, va usurper l’identité d’un officier (le Capitaine) et inventer une mission spéciale au prétexte de laquelle il entraînera une poignée de misérables encore plus largués que lui.
Et au nom de cette mission imaginaire il va multiplier exactions, crimes, horreurs. Je ne vais pas ici en faire le détail. C’est simplement la relation très noire (relation et non fiction puisque le film est inspiré d’une histoire vraie ; noire car il est réalisé en noir et blanc) d’un comportement souvent abordé dans la littérature et au cinéma : pour l’un, l’effrayante propension au crime sans mobile de pouvoir ou d’enrichissement, sinon sauver sa peau ; pour les autres, l’insondable aptitude à obéir au chef le plus improbable et exécuter les ordres les plus épouvantables.
Et le pire, le pire (si vous êtes un peu dépressif en ce moment, n’allez pas voir ce film) c’est que vous en ressortez avec la certitude, tirée tant de la sombre parabole d’avril 1945 que de l’actualité présente… que ces mécanismes dantesques sont toujours là, à des degrés divers selon les pays mais toujours agissants, à l’état endémique ou qui viennent flamber, ici et là, maintenant et demain matin.
25 mars 2018