2018 03 05 : Noli me tangere

Considérant avec consternation le succès encenseur rencontré par mes trois récentes communications parathéistes, épignostiques ou crypto-catho, je m’étais juré in petto (in conclave si vous préférez) de ne plus aborder de sujets contenant la moindre trace de divin, de mystique, de sacré.

Et puis voilà, carambolage : je viens d’être à nouveau victime d’un accident d’investigation historico-picturale !

Je m’étais pourtant ces jours-ci fermement recentré sur une réflexion aux antipodes de l’angélisme, un sujet pas du tout spiritualiste et même quelque peu trivial.

Je suivais en effet avec jubilation le puissant mouvement d’opinion qui porte les femmes à dénoncer les balourds, les soudards, les promoteurs-canapé, les chefs libidineux, les importants importuns, les patrons cochons, les directeurs palpeurs, les voyageurs tripoteurs, bref toute cette sordide engeance de délinquants, qu’il faut ainsi appeler puisque toute atteinte à la liberté et à l’intégrité d’autrui constitue une infraction ou un crime.

Mais je ne pouvais m’empêcher d’éprouver un dépit taraudé d’inquiétude : moi qui me déplace quotidiennement en transports en commun, je n’ai jamais entr’aperçu le moindre de ces pauvres types, alors que pourtant nombre de femmes me disent les subir fréquemment dans le métro. Serais-je aveugle ou indifférent ?

Pire encore, mon inconscient freudien (et l’on sait que Sigmund était hyperpolarisé sur le libidinal un peu sale et l’oedipeux bien baveux) ne refoulerait-il pas des choses factuellement discernées par ma rétine, mais sans les transmettre à mon cortex visuel secondaire, afin que ces stimuli ne viennent pas fissurer ma conscience tranquille et mon sur-moi pudibond ?

Je n’ai jamais vu non plus aucune de ces scènes de quémandage que nous rapporte le Canard Enchaîné :

Bref j’étais livré au pénible dilemme d’être soit un sale égoïste soit un lamentable névrosé.

C’est alors qu’une amie, mie, mie, je veux dire mi-compatissante mi-rigolante à l’écoute attentive de mon tourment mea-culpabilisant, n’assura que le harcèlement sexiste est hélas banal et vieux comme le monde, que la société l’occulte soigneusement depuis longtemps.

Et que donc chacun d’entre nous peut passer à côté par vénielle distraction ou inattention. Mais que les littérateurs et artistes, eux, le connaissent, le décrivent et l’illustrent depuis des siècles.

Et même… et même… et même qu’il y a aussi, réciproquement – vice versa si l’on ose dire – des femmes harceleuses et outrageusement entreprenantes. L’amie-mimie ajoutant : ce sera dans quatre jours la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, mais ce n’est pas une raison pour que certaines d’entre elles se croient tout permis.

Des femmes abusives, je sais ; usantes, je sais aussi… mais abusantes ? Serait-ce possible ? J’étais assurément convaincu que ce type de déviance est spécifique au type justement, au mec quoi, l’apanage du sexe dit fort, fort mal élevé en l’espèce.

Devant mon scepticisme inentamable, mon amimmimmie me proposa de lui rendre visite le lendemain à sa rédaction (elle dirige une revue d’Art) et que là elle étalerait sous mes yeux des preuves irréfutables, récurrentes et anciennes du harcèlement féminin.

Effectivement, ce matin même elle a livré à mes regards, en grand format, de remarquables reproductions de tableaux, de la Renaissance au Classicisme, qui montrent incontestablement telle ou telle égrillarde en train d’importuner un innocent garçon fort embarrassé, qui doit la repousser calmement mais fermement. Ainsi donc ce comportement répréhensible est historiquement attesté chez la femme aussi ! En ces temps-là il n’y avait pas de vidéosurveillance mais les rapins n’avaient pas leur pinceau dans leur poche.

Comble porté à ma consternation, je constatai en sus que toutes ces preuves me ramenaient à la bondieuserie, car elles émanaient de sources religieuses ; qu’elles étaient d’ailleurs imprimées non sur un papier de dimensions Colombier ou Raisin mais au format in folio Jésus… Et que, dix-neuf siècles avant Freud, la Vulgate (Évangile selon Saint Jean, verset 20-17) avait donné un nom (latin comme il se doit) à ce trouble obsessionnel compulsif : Noli me tangere. Ne me touche pas !

5 mars 2018

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