Il est impossible de décrire trop précisément l’intrigue sans spoiler ce film alors qu’une grande part de sa force en résulte. Je dirai simplement que cela se passe au nord Caucase en 1998, dans la petite république de Kabardino-Balkarie coincée entre la Géorgie et la Tchétchénie, et donc à la période maudite de la guerre de Tchétchénie, où à peu près tout était fait de part et d’autre pour diviser, opposer et dominer des communautés tétanisées par la violence (et donc quand je dis tout c’est bien entendu toutes les horreurs dont le film ne nous donne heureusement que de brefs aperçus).
Ilana (Darya Zhovner) est une jeune fille plutôt garçonne qui a cependant un petit ami, Zalim (Nazir Zhukov), regardé de travers par la famille car il n’est pas de la même communauté. Ilana travaille dur avec Avi, son père garagiste (Atrem Cipin) car la vie là-bas est dure, même en temps de paix, alors imaginez en temps de guerre.
Ilana est contente car son frère aîné David (Veniamin Kats) célèbre ses fiançailles. Ilana n’avait pas anticipé que dans la nuit suivant cette célébration, les fiancés seraient kidnappés par une mafia pour exiger une rançon. Ilana n’a pas de chance : non seulement la police n’est pas très efficace en temps de paix, alors imaginez en temps de guerre, alors imaginez pour venir en aide à des Juifs ! Car Ilana, manque de discernement sans doute, est née non seulement fille mais dans une communauté juive.
Alors comment va-t-elle faire, Ilana, pour trouver la rançon et sauver les fiancés ? Je ne le dirai pas, sauf pour indiquer qu’Ilana et ses parents vont diverger sur la méthode à suivre.
Ce film russe de Kantemir Balagov nous montre sans aucun idéalisme que les communautés sont certes des refuges identitaires mais aussi des clans, des prisons qui contraignent toute velléité d’émancipation ; il est d’ailleurs significatif que Теснота en russe signifie étroitesse ce qui a donné le sous-titre du film Une vie à l’étroit. Le cadrage et le format d’image participent à cette sensation constante d’étouffement.
La leçon lumineuse qui ressort de ce film ‑ et je pense que le réalisateur a voulu la mettre en place centrale ‑ c’est que dans ces pays à la dérive après la disparition de l’URSS, livrés soit aux guerres, soit au banditisme, soit au nationalisme obtus, soit au traditionalisme à la sauce réactionnaire, soit à l’intégrisme confessionnel… ou à tout cela à la fois, ce sont les femmes qui portent la solution.
Les femmes qui portent non seulement le vrai courage mais aussi la détermination : parce qu’elles détestent la guerre, qu’elles ne sont pas des bandits machistes, qu’elles savent que le nationalisme vole leurs enfants et tue leurs compagnons ; et que de la réaction idéologique ou de l’intégrisme religieux, elles sont les premières victimes.
Sortant du cinéma, je m’en voulais de n’avoir pas connu auparavant ce grand cinéaste, de n’avoir vu aucun de ses précédents films. Et c’est sur Internet que j’eus la réponse : Kantemir Balagov signe là son premier film, à 27 ans ; et son personnage principal, Ilana (Darya Zhovner), joue là son premier rôle !
10 mars 2018