2018 02 10 : La Douleur – film

J’attendais avec une grande curiosité de voir ce film car ayant lu les deux récits de Marguerite Duras dont il est tiré (La Douleur et Monsieur X. dit ici Pierre Rabier), je me demandais comment il pouvait être possible de transposer au cinéma 70 pages de narration intimiste quasiment dépourvues d’action.

Alors je dirai d’emblée que le réalisateur Emmanuel Finkiel y parvient avec une maîtrise qui fera date.

L’intrigue, si l’on ose appeler ainsi l’insupportable déroulement d’une longue attente ? En juin 1944 le résistant Robert Antelme est arrêté par la Gestapo. Commence alors le chemin de douleur de son épouse Marguerite Duras (Mélanie Thierry).

Pour savoir où il est, ce qu’il subit, ce qu’il risque, exploiter toutes les pistes possibles, elle accepte de rencontrer régulièrement, dans des bars ou restaurants de marché noir, Pierre Rabier un gestapiste (Benoît Magimel), ce qui lui vaut les mises en gardes effrayées de membres de son réseau. Sauf de Dionys Mascolo (Benjamin Biolay) son amant qui la soutient indéfectiblement et subit impavide ses éruptions de désespoir.

Quand survient la Libération de Paris, la liesse n’est pas pour elle ; ni, pendant presque un an, le bonheur du retour progressif des prisonniers et des déportés survivants, car Robert n’en fait pas partie. Et l’espoir déraisonnable de Madame Katz (Shulamit Adar) qui attend, elle, le retour d’un camp de concentration de sa fille handicapée, accroît encore sa souffrance muette.

Il y a dans le récit, tellement hors norme que Marguerite Duras a attendu 40 ans avant de le publier, une force singulière, une intensité qui sidère et glace le lecteur. Le procès-verbal de cette interminable attente de Marguerite, déchirée entre la raison qui lui murmure que Robert est mort comme des milliers d’autres et une voix intime qui lui souffle qu’il est vivant. Un récit sec, sobre, qui ne cède pas au pathos : la jeune Duras avant la Duras de la maturité.

Impossible donc de rendre à l’écran cette brûlure intérieure, une douleur intense mais qui siège au plus profond de son esprit… et pourtant ce film y parvient.

Sans tricher, car de longs passages du texte sont lus en voix hors champ et cela n’est ni lourd ni pesant, ils ne viennent pas affaiblir l’expression visuelle mais la servent magnifiquement. Sans tricher, car les péripéties qui parsèment le film sont toutes issues du texte, aucune n’est inventée. Sans tricher avec les effets plastiques, car le flou, le dédoublement d’acteurs, les ellipses sont largement utilisés mais à bon escient.

La séquence qui peut-être fera date dans l’art de restituer cinématographiquement une atmosphère psychologique difficile est sans doute celle du restaurant de marché noir, quelques jours avant la Libération de Paris, où les tablées d’officiers allemands et de collaborateurs suintent la peur animale : il eut été facile de louper cette scène, elle est magistralement réussie.

Benoît Magimel, Benjamin Biolay sont fidèles à ce qu’on pouvait attendre d’eux ; mais celle qui domine la distribution est Mélanie Thierry, une Marguerite Duras toute en pudeur et en sensibilité, dont les crises de dévastation émotionnelle auraient pu être ridicules avec une autre actrice alors qu’elles sont juste bouleversantes avec elle.

10 février 2018