2018 01 20 : Dufour vous connaissez ?

Connaissez-vous Danny-Robert Dufour ? J’obtiens la plupart du temps une réponse négative à cette interrogation.

Il est certain que DRD ne paraît pas souvent dans les émissions où l’on cause de tout et de rien, du grand Tout sans en savoir rien et de riens dont évidemment on sait tout. Lui n’est pas dans l’imposture et l’enflure de ces gens s’affirmant penseurs, philosophes, écrivains, mais c’est bien sûr ! puisqu’ils sont labellisés Saint-Germain (garantis 100% littérateurs français origine contrôlée, avec le logo hexagonal et, comme les poulardes, chapons, pintades et dindons, plumet bleu-blanc-rouge dans le troufignon).

Tandis que lui, DRD, ben oui, il l’est, penseur, philosophe, écrivain ; et de première grandeur.

Mais n’anticipons pas…

Dany (Robert ne s’ajoutait alors pas à l’interpellation usuelle) je l’ai connu au tout début du joli Mai de 68. Trois ans d’âge nous séparaient et à l’époque c’était énorme : j’en avais 18 et lui 21, moi encore mineur et lui déjà majeur.

Je l’ai connu brièvement : deux années, et très épisodiquement puisque Mai retombé, nous nous engageâmes dans une péripétie assez identique mais en des lieux différents : les tractages, affichages, réunions enfumées et puis surtout l’établissement (non pas dans une institution de prestige, mais à l’usine, l’abrutissante fatigue 10 heures par jour, les travaux forcés au beau pays des libertés, la dictature des patrons et petits chefs au beau pays de la démocratie).

Puis, grâce à un quelconque juge Galmiche, zélote et donc décoré, un mandat d’amener (qui n’amena rien car nous fûmes camouflés) nous poursuivit un an durant, ce qui nous procura le divertissement d’une cavale style Pierrot le fou en moins épique et sans danger évidemment.

Ensuite nous nous ignorâmes durant… 40 ans.

Enfin lui, pas moi, puisqu’ayant su (je ne sais plus comment) que DRD publiait, j’achetai son premier bouquin, puis deux, puis trois… enfin tous car je le trouvai génial, me consolant des penseurs en papier mâché, des écrivains caractériels et des philosophes postiches.

Que dire de son œuvre ? Qu’il faut la lire ! A ce jour DRD a publié 16 livres :

    • Le Bégaiement des maîtres : Lacan, Émile Benveniste, Lévi-Strauss – 1988
    • Les Mystères de la trinité – 1990
    • Les Instants décomposés – 1993
    • Folie et démocratie – 1996
    • Lacan et le miroir sophianique de Boehme – 1998
    • Lettres sur la nature humaine à l’usage des survivants – 1999
    • L’Art de réduire les têtes : sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total – 2003
    • On achève bien les hommes : de quelques conséquences actuelles et futures de la mort de Dieu – 2005
    • Le Divin marché – 2007
    • La Cité perverse – 2009
    • L’individu qui vient… après le libéralisme – 2011
    • Il était une fois le dernier homme – 2012
    • Le Délire occidental et ses effets actuels dans la vie quotidienne : travail, loisir, amour – 2014
    • Pléonexie : « Vouloir posséder toujours plus » – 2015
    • La situation désespérée du présent me remplit d’espoir – 2016
    • Mandeville, Édition de cinq textes commentés – 2017

Impossible de les résumer ici : pour chacun d’eux il me faudrait plusieurs pages tant ils sont denses et riches (et parfois d’un abord qui nécessite un effort).

Danny-Robert Dufour est à ma connaissance le créateur ‑ en tout cas dans notre littérature et sous une forme abordable au profane ‑ de concepts essentiels :

La pléonexie (en grec l’avidité) du stade délirant du capitalisme mondialisé qui suppose et donc encourage un « vouloir avoir toujours plus », ce qui suscite en réaction, simultanément un « désir de pureté » (fondamentaliste, djihadisme) et le « délire identitaire » qui envahit nos pays occidentaux, deux aspects en quelque sorte du fascisme moderne.

Une nouvelle Renaissance pour retrouver les fondements de la civilisation, non pas identitaires mais spirituels et culturels, afin qu’advienne l’individu humaniste, à la fois libre et citoyen.

La dénonciation radicale de notre religion occidentale épouvantablement sectaire : le Marché, fondé sur une immoralité initialement détectée par Bernard de Mandeville en 1705 : « Les vices privés font la vertu publique » et qui sévit à travers une dévotion illuminée pour « la main invisible » et « la concurrence libre et non faussée ».

La néoténie de l’homme qui naît physiquement inachevé, donc vulnérable aux exigences de la nature et obligé d’inventer le langage, la culture, la dignité humaine et l’humanisme.

Enfin son concept le plus difficile à saisir : il analyse les modes d’élaboration de la pensée, et démontre qu’à côté de la logique unaire (qui ne met pas en avant la relation différentielle entre deux termes, mais l’identité que ces deux termes se renvoient en miroir l’un l’autre, une logique auto-référentielle) et de la pensée binaire (du structuralisme et de l’informatique), existe depuis toujours une fructueuse et subtile pensée trinitaire, héritée bien sûr de la plupart des religions (la Trinité chrétienne) mais dans toutes nos relations humaines qui reposent implicitement sur les trois je, tu, il

20 janvier 2018