2018 01 18 : Brel et Ferrat : l’un est mort, l’autre aussi…

Dans les années 60 j’aimais Jacques Brel et Jean Ferrat, mais avec une préférence pour le premier.

Je trouvais Jean Ferrat sympathique et courageux, il y avait de l’engagement dans ses chansons même si de nos jours cela peut sembler périmé à certains. Et puis comme Ferré (moins bien que Ferré peut-être) il chantait la poésie de Louis Aragon, alors…

Néanmoins dans mon Panthéon modestement personnel je le situais après Brel, en tout cas le Brel de la plénitude (pas l’abbé Brel des années 50 qui était encore naïf et inabouti).

Je plaçais Ferrat après Brel parce que moins fort, moins âpre, moins essentiel (et je crois d’ailleurs qu’aujourd’hui ses chansons ont davantage vieilli) ; parce que moins juste, et je vise là non seulement le placement de sa voix, mais la pertinence de ses textes.

Evidemment c’est subjectif, cela se discute et je ne veux pas offenser celles et ceux qui maintiennent Ferrat au tout premier rang de leurs préférences et de leurs nostalgies.

Mais à l’appui de mon propos, je proposerai un exemple, une chanson de l’un et une chanson de l’autre sur le même thème : la corrida. Les voici :

Jean Ferrat : Les belles étrangères – 1965

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Jacques Brel – Les toros – 1962

Jacques Brel va droit au cœur du problème : Les taureaux à l’heure du trépas ne nous pardonneraient-ils pas en pensant à Carthage, Waterloo et Verdun ?

Pour lui la fascination des hommes (et pas seulement des Espagnols : je me brouillai avec Hemingway que j’estime pourtant en lisant ses dithyrambes interminables sur l’art de la tauromachie), leur passion pour la corrida découle directement de leur propension à se jeter à intervalle régulier dans la guerre, les massacres, les atrocités. La même pulsion de mort qui se pare des rites et attributs du plaisir.

Jean Ferrat risque quant à lui une explication sociologique : Ce n’est pas par plaisir que le torero danse, c’est que l’Espagne a trop d’enfants pour les nourrir, il faut parfois choisir, la faim ou le taureau…

Sauf que sous Franco, de nombreux matadors ne sont pas venus à l’arène poussés par la misère, et que 40 ans après la disparition du dictateur, les Espagnols n’ont plus faim pourtant la corrida demeure l’une de leurs passions. Et d’ailleurs, je ne l’avais pas remarqué à l’époque, sa phrase comporte une sorte de contradiction : « Ce n’est pas par plaisir que le torero danse, il faut parfois choisir, la faim ou le taureau ». Parfois : donc la faim n’est pas la cause essentielle de l’engouement pour la corrida.

18 janvier 2018