Chaque année, Paris au mois d’août s’ennuie un peu. Pas les touristes, bien sûr, ni les professionnels qui travaillent pour eux ; ni les services publics de permanence.
Ceux qui baillent un peu, ce sont quelques intellectuels, ou se prétendant tels, qui n’étant partis dans des contrées plus ou moins exotiques, scrutent les fonds de tiroirs de l’actualité pour faire exister quelques prises de positions, indignations, exclamations, rumeurs. Certes, durent et perdurent depuis des semaines, des mois, des années, de tragiques situations partout dans le monde, mais rien de nouveau sous le soleil.
Rien de nouveau sous le soleil, vous êtes sûr ? A Paris Plages par exemple ? Erreur ! Car voici enfin un sujet croustillant : la maire de Paris vient d’organiser, sur ces quelques centaines de mètres de quais agrémentés chaque mois d’août depuis treize ans de sable et de parasols, une journée culturelle Tel Aviv sur Seine.
Le voilà donc, le sujet de polémique : des représentants de partis ou organisations favorables à la Palestine et antisionistes s’indigent : « Le cynisme de l’organisation d’une telle journée dans le cadre de Paris Plages atteint les sommets de l’indécence. » Ou bien : « Cette opération ne peut être considérée comme un simple événement culturel, alors qu’elle fait partie intégrante de la propagande israélienne. » Ou encore : « Une année après les massacres de Gaza par l’État et l’armée israélienne et alors que le gouvernement israélien intensifie sa politique de colonisation avec les drames que l’on connait, la Ville de Paris ose organiser une journée mettant à l’honneur Tel Aviv »
Des défenseurs évidemment s’insurgent : « Pas d’amalgame entre Tel Aviv, ville symbole de la tolérance et de la paix, et la politique brutale du gouvernement israélien ! » Ou : « C’est à Tel-Aviv qu’ont eu lieu les manifestations de solidarité les plus impressionnantes avec la famille de l’enfant palestinien brûlé vif par des fanatiques. »
J’ai mon opinion sur la politique israélienne vis-à-vis du peuple palestinien : je ne vais pas la rappeler ici. Je ne vais pas davantage donner mon avis sur Tel Aviv sur Seine, ce serait le combientième ? On saura, j’espère, s’en passer. En tout état de cause, je dirai que les opinions « pour » ou « contre » sont légitimes, respectables… mais un peu superflues !
En revanche, je veux simplement m’attarder sur l’une des réactions et exposer la réflexion qu’elle m’inspire.
Non pas sur la stupidité d’Eric Ciotti : « Je suis scandalisé par cette polémique, qui est lancée aujourd’hui par l’extrême gauche avec des relents – je le dis très clairement – antisémites » ; elle est habituelle, estival épisode récidivant de son psittacisme.
Mais le communiqué publié par Roger Cukierman, président du CRIF : « Je suis consterné et choqué par le déferlement de haine nauséabonde que suscite l’initiative culturelle et amicale de la Mairie de Paris d’organiser une journée Tel-Aviv plage. »
Que M. Cukierman approuve Tel Aviv sur Seine, c’est normal ; qu’il le fasse en termes vifs, c’est dans son tempérament. Mais l’utilisation du terme nauséabonde ?
Tout historien, journaliste, sociologue, vous dira que le mot est utilisé – et alors légitimement – pour qualifier les menées et propos négationnistes et antisémites. Donc en l’occurrence, insidieusement mais non moins clairement, M. Cukierman assimile les opposants à Tel Aviv sur Seine à des négationnistes et antisémites.
Si M. Cukierman avait pesé ses mots et modéré sa plume (mais ce n’est pas son style), il aurait pu écrire, par exemple : « Je suis consterné par l’opposition à Tel-Aviv plage et choqué qu’elle donne prétexte parfois à une haine nauséabonde. ». En ces termes, il n’y aurait rien à redire.
Je ne vais pas rappeler, d’autres l’ont fait bien avant et bien mieux que moi, qu’assimiler la moindre critique de la politique d’Israël à de l’antisémitisme est intellectuellement crapuleux et qu’au demeurant cela alimente cet antisémitisme. Je vais simplement exposer aux plus jeunes combien ce genre d’amalgame nous était étranger il y a quelques décennies.
Lorsque, vers 1965, je défilais pour protester contre la guerre d’agression US au Vietnam, je n’ai entendu personne m’accuser d’anti-américanisme, alors que j’avais une réelle admiration pour ces Américains qui nous avaient libérés en 1944. Lorsque quelques années plus tard je manifestais contre l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’URSS, nul n’aurait pu me soupçonner d’oublier notre dette envers les 27 millions de Soviétiques morts pour débarrasser notre pays et l’Europe de la barbarie nazie.
Alors ? Décadence de la pensée politique et dégradation du débat démocratique ? Chez certains, oui, hélas.
12 août 2015