Edito H&T : Euthanasie ? Le mot ne sera pas prononcé

Logo HT4Le 12 décembre 2014, recevant les propositions d’aménagement de la loi sur la fin de vie des députés Alain Claeys et Jean Leonetti, le Président de la République prononça une allocution.

Sur un sujet aussi grave il est un peu consternant de voir que le chef de l’Etat s’est efforcé de maintenir une ambiguïté dont il est persuadé, visiblement, qu’il ne pourrait sortir qu’à son détriment…

Pendant la campagne de 2012, son engagement n° 21 était rédigé ainsi : « Que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Déjà l’ambigüité était là, très habilement posée dans l’emploi d’un mot.

L’« assistance médicalisée pour terminer sa vie » pouvait être entendue comme une assistance pour en finir, mettre un terme à cette vie, donc recourir à l’euthanasie. C’est une lecture en français courant… Mais ceux qui soutiennent que le Président est clair peuvent expliciter que par « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » il s’engageait à garantir la dignité de la fin de vie, mais sans aucunement hâter ou interrompre celle-ci.

Le Président a annoncé qu’en janvier 2015 un projet de loi sera déposé au Parlement sur la base du rapport Claeys-Leonetti. Or ce rapport lui-même prolonge l’ambigüité du candidat Hollande de 2012. Qu’écrit-il en effet ?

En prescrivant au médecin de mettre en place « l’ensemble des traitements antalgiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie » il propose certes une avancée sur l’état du droit actuel. Mais n’autorise toujours pas le médecin à respecter activement la volonté du patient d’en finir et de mourir : si les traitements antalgiques et sédatifs viennent abréger sa vie, ce sera en quelque sorte « à titre subsidiaire »…

D’autant que la « phase terminale » est étroitement délimitée : c’est « celle où le pronostic vital est engagé à court terme ».

La « sédation profonde » est présentée comme un nouveau droit important. Les termes du rapport semblent lui donner en effet une portée considérable : « La sédation est profonde pour garantir l’altération totale de la conscience… elle est continue jusqu’au décès… elle est obligatoirement associée à l’arrêt de tout traitement de maintien en vie ». Il n’empêche : l’administration de substances provoquant la mort n’est toujours pas autorisée…

Ces formulations alambiquées pâtissent d’être comparées à celles de certains de nos voisins européens :

  • En Belgique, la loi du 28 mai 2002 autorise l’euthanasie active. Celle-ci est nommée et définie comme étant «l’acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci ».
  • Aux Pays-Bas le mot n’est pas présent dans la loi du 12 avril 2001 qui a modifié les articles 293 et 294 du code pénal, qui nomment respectivement « l’interruption de vie à la demande expresse et sérieuse d’une autre personne par un médecin qui satisfait aux critères de minutie et en donne communication au médecin légiste de la commune » et « l’assistance au suicide par celui qui, intentionnellement, aide autrui à se suicider ou lui procure les moyens lui permettant de se suicider, n’est pas punissable lorsqu’apportée par un médecin qui satisfait aux critères de minutie et qui en donne communication au médecin légiste de la commune. » Mais le mot figure dans les commissions régionales de contrôle de l’euthanasie.
  • Au Luxembourg, un texte légalisant l’euthanasie et le suicide assisté a été promulgué en 2009.
  • En Suisse, l’euthanasie active indirecte et l’euthanasie passive ainsi que le suicide assisté sont autorisées depuis 2003.

Le rapport de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, sans doute pour estomper leurs divergences, joue parfois sur les mots. Ainsi : « Les Français nous interpellent, ils expriment par les sondages une demande de voir leur volonté respectée quant à leur fin de vie : “je veux être entendu”  ».

Oui, les Français, et depuis plus de 30 ans, « veulent être entendu »… mais sur quoi ? Pourquoi les rapporteurs ne l’écrivent pas ? Sur le droit à mettre un terme à la vie, donc l’euthanasie… cette volonté des Français est claire, massive et ne cesse d’augmenter [i].

Comme je suis d’un naturel optimiste, il me reste à espérer que même si le mot euthanasie ne figure pas dans la loi qui sera finalement votée, le texte sera suffisamment clair pour garantir le droit du patient qui la demande et la sécurité juridique du médecin et des accompagnants qui la dispensent…

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[i] Déjà en… 2001, 88 % des Français sont favorables à la légalisation de l’euthanasie (38 % de « oui, absolument » et 50 % de « oui dans certain cas »). Pour ne remonter qu’à la période où M. Hollande a formulé son engagement : • en août 2011 dans un sondage IFOP à la question « la loi devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ? » 94 % répondent oui (49 % « tout à fait favorables » et 45 % « plutôt favorables ») • en octobre 2012 ils sont 89 % (55 % « tout à fait favorables » et 34 % « plutôt favorables ») • en octobre 2013 ils sont 92 % (44 % « oui absolument » et 48 % « oui dans certain cas ») • en octobre 2014, ils sont 96 % (54 % « oui absolument » et 42 % « oui dans certain cas »).