Alors que le film de Jalil Lespert Yves Saint-Laurent, que j’ai évoqué en février, connaît sa deuxième vie, celle du DVD, je voudrais comme en écho parler ici d’un livre, d’un tout petit livre de 90 pages, pas même récent puisque paru en 2010. Ce n’est ni un roman, ni une autobiographie, ni un récit, ni des souvenirs, ce sont simplement les Lettres à Yves, une soixantaine de billets adressés par Pierre Bergé à son compagnon dans l’année qui a suivi la mort de celui-ci le 1er juin 2008 à 23 h 10.
Pourquoi parler de ce livre, qui n’est pas un monument de la littérature, qui ne brille ni par le style, ni par la puissance narrative, ni par le génie épistolaire ? D’abord parce qu’il est bien écrit ; c’était sans doute la seule ambition de Pierre Bergé quant à la forme, mais cette qualité devenant rare il faut en profiter. Ensuite parce qu’il évoque au plus juste souvenirs communs et émotions partagées sans jamais tomber dans la grosse émotion dont on tartine hélas copieusement tant de bouquins, films et émissions parce que cela fait vendre.
Oui, pourquoi parler de ce livre ? Pour moi, avant tout parce qu’après plusieurs saisons détestables où des traditionalistes bornés et des obscurantistes mystiques ont su amalgamer de considérables foules de braves gens autour de leur haine, non seulement du sexe libéré mais de l’amour libre, haine rentrée mais d’autant plus visible, et de leur homophobie jamais surmontée et donc rancie, voici une lecture qui m’est venue comme un petit courant d’air frais pour dissiper ces miasmes.
Les Lettres à Yves apportent la démonstration, irréfutable parce que véridiquement vécue, que l’amour se moque des catégories, genres, convenances et bienséances qui de tout temps ont cherché à le tenir en lisière : l’histoire d’amour que nous raconte Pierre Bergé est aussi forte est belle que s’il l’avait vécue avec Anna, Héloïse ou Emma. Et comme l’ouvrage ne contient aucune notation scabreuse ou osée, il pourrait être donné à lire aux élèves du secondaire pour qu’ils ressentent l’authenticité du sentiment amoureux homosexuel. Mais je rêve…
Au-delà, Pierre Bergé nous donne à comprendre la relation subtile et complexe entre un génie fragile et son contrepoids indispensable, son contrepoint de repère, sa balise. Refermant le livre, on est convaincu que sans Pierre Bergé l’immense créateur Yves Saint-Laurent n’aurait pas existé.
Enfin, j’ai éprouvé une satisfaction, personnelle mais bien agréable, celle de me trouver presque toujours en accord avec les opinions culturelles, littéraires ou musicales égrenées par l’auteur au fil de son propos.
8 juin 2014