2014 03 23 : Les Roms ces Européens, Vals ce raciste

Je ne commenterai pas ce soir les résultats du premier tour des élections municipales, ni dimanche prochain ceux du second. Election locale, élection nationale, déjà la polémique sur ce distinguo, évidemment réel mais évidemment de plus en plus ténu, montre à elle seule que la querelle accessoire tend à s’incruster dans nos vaines petites manies nationales.

Je ne commenterai pas, parce que c’est un épisode démocratique mineur, une péripétie politique ; les élections intermédiaires sont presque toujours perdues par le pouvoir en place.

Je ne commenterai pas, parce que les évènements les plus importants ont eu lieu avant, auront lieu après, ou ailleurs, sans qu’on en parle forcément autant.

Je ne commenterai pas, parce que les équipes municipales qui seront élues, et les maires à la suite, seront le plus souvent capables, compétentes et dévouées, indépendamment de leur nuance politique (puisque désormais le vocabulaire correct édicté par le ministre de l’intérieur impose de dire « nuance » et non plus « tendance » ou « appartenance » ; petite manie encore que cette police du langage). Si jamais vous évoquez l’incidence des personnalités sur le résultat électoral, vous cédez à un « apolitisme » suspect ; mais si vous niez toute influence de la notoriété d’un candidat sur une élection locale, vous faites de « l’idéologie » sectaire.

Mais justement, puisque je viens d’évoquer le ministre de l’intérieur et sa police du langage… alors le ministre ferait peut-être mieux de policer le sien ! Car rappelez-vous ce qu’a déclaré Manuel Vals en septembre 2013, je cite littéralement pour ne pas interpréter :

« Oui, il faut dire la vérité aux Français. Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation avec les populations locales. (…) C’est illusoire de penser qu’on règlera le problème des populations roms à travers uniquement l’insertion. Les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie, et pour cela il faut que l’Union européenne, avec les autorités bulgares et roumaines, puissent faire en sorte que ces populations soient d’abord insérées dans leur pays. (…) Les occupants des campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution. (…) Aujourd’hui, nous estimons qu’environ 20 000 hommes, femmes et enfants originaires de Roumanie et de Bulgarie pour la plupart occupent en toute illégalité plus de 400 campements dans notre pays, dont les deux tiers en Ile-de-France. Implantés en bordure de quartiers populaires déjà percutés par la crise, ils sont à l’origine de problèmes de cohabitation qui prennent des formes parfois inquiétantes. »

Sur le moment je n’avais rien dit : je n’ai aucun titre à délivrer bons ou mauvais points politiques et je n’aime pas réagir à chaud. Aujourd’hui, avec six mois de recul, j’écris ces mots pour qu’ils me délivrent d’une honte.

Honte qu’un ministre de la République s’exprime ainsi.

Car, littéralement, sans hésitation possible, l’historien ou le sociologue caractériseront ce discours comme un discours raciste ; sans doute pas celui qui tombe sous le coup des lois Gayssot ou autres, mais sous la censure de notre jugement moral. Cet essentialisme, cette manière de vouer des individualités à la fatalité d’un comportement collectif inhérent à son entité ethnique, c’est du racisme, cela relève de cette horreur conceptuelle qui fut inventée pour brimer successivement les Bretons, les Polacks, les Ritals, les Juifs, les Arabes, j’en passe et des plus respectables.

Vieille et sale méthode encore, employée par les propagateurs de la peste raciste ou des fièvres nationalistes : mêler perversement de la vérité à du mensonge, selon la célèbre recette du pâté 50% alouette / 50% cheval : une alouette de vérité pour un cheval de mensonge.

Car c’est vrai que certains Roms ne veulent pas s’intégrer (mais évidemment si tous croupissent,  dans d’immondes terrains vagues et campements pouilleux, c’est ce qu’ils l’ont choisi délibérément et avec délectation.).

C’est vrai que certains Roms ne veulent pas retourner d’où ils viennent (mais bien sûr tous sont des marginaux, comme tous les Africains ‑ version actuelle des boat people ‑ qui se noient à Lampedusa par pur goût du risque, un peu comme les skieurs hors-piste…).

C’est vrai que certains Roms sont voleurs (moi-même je fus cambriolé en 2009 par quelques-uns d’entre eux et donc j’en veux encore à tous ceux que je croise sur mon trottoir et ils sont nombreux à Saint-Denis.).

Les Temps modernes n° 677En outre jusqu’en 2012, chaque fois qu’un responsable de droite semblait mi-séduit mi-apeuré par les mots et les idées de l’extrême-droite lepéniste et s’abaissait un tant soit peu à les employer, la gauche de M. Vals n’avait pas de mots assez durs pour stigmatiser « ce fossé qui se comble, ces digues qui cèdent, cette course à l’électeur frontiste… ». Alors aujourd’hui, honte à M. Vals qui emploie les mêmes expédients politiciens.

Heureusement il y a des citoyens qui résistent à cette lente contamination. Je vous invite à lire la dernière livraison (n° 677 janvier-mars 2014) de la belle revue Les Temps Modernes de Claude Lanzmann, qui s’intitule : Les Roms, ces Européens. Tout simplement.

23 mars 2014