Après trente années d’activité professionnelle, dont la majorité consacrée aux établissements pour personnes âgées, puis-je m’empêcher de porter un regard rétrospectif sur ces décennies et tenter un bilan, aussi bien des intentions et résultats des politiques publiques que des projets auxquels j’ai participé ?
Or je le pense avec amertume : si notre génération de décideurs hospitaliers et du médico-social peut invoquer nombre de fiertés en ce qui concerne l’hospitalisation de courte durée, le solde est moins glorieux quant aux institutions de gériatrie.
Tout avait pourtant bien commencé. Un commencement pas très lointain : c’est au début des années 60 que furent publiés des fascicules officiels concernant les maisons de retraite et foyers-logements. La gérontologie n’était alors confrontée ni à l’ampleur démographique du vieillissement ni aux problèmes de perte d’autonomie. Mais dès 1962 la prospective exemplaire du rapport Laroque pointa ces deux questions.
Deux rapports du Commissariat au Plan, en 1971 et 1980, continuèrent d’alimenter une réflexion de qualité. Sur le terrain, à partir de 1973, commencèrent à s’édifier [i] les premiers centres de long et moyen séjour dotés – révolution copernicienne à l’époque – d’un prix de journée ou forfait supporté par l’assurance maladie. Mais bien vite, les pouvoirs publics s’effrayèrent de leur propre audace et surtout de son extrapolation financière.
1 Nous assistâmes alors à un phénomène bizarre, sans nous douter que ce n’était que le premier d’un cycle : une mécanique ondulatoire insidieuse, un mouvement de balancier pour faire retomber les ambitions affichées et les dépenses entr’aperçues. Mais sans se renier ouvertement et ne pas sembler renoncer à l’objectif proclamé de « supprimer les hospices ».
L’épisode fut admirablement révélateur de l’imagination, de la casuistique et de la langue de bois de certains commis de l’Etat et de l’assurance maladie, en service commandé. Ils inventèrent de nouveaux forfaits soins, mais light bien sûr, pour section de cure médicale et soins courants : exit la ruineuse création de lits de long séjour.
J’en connus alors de ces médecins-inspecteurs de la DDASS et médecins-conseils de la sécu, binôme acoquiné venant en établissement procéder à des « coupes » et « évaluations » mais dissimulant mal que tout était déjà ficelé, que le pourcentage de résidents à classer en soins courants (les moins chers) était fixé d’avance.
2 Il fallut attendre vingt ans, avec en 2002 la création de l’allocation personnalisée d’autonomie par Paulette Guinchard, pour qu’une ambition nouvelle soit impulsée. Mais à nouveau le balancier retomba, avec des conventions tripartites Etat-département-EHPAD souvent « négociées » (ne riez pas) a minima.
3 Depuis deux ans – l’imagination des bureaucrates ayant fait, elle, d’indéniables progrès – la calamité s’appelle convergence USLD-EHPAD [ii] : rapprocher ces deux types de structures en réduisant leurs disparités, notamment en personnel de soins.
Si vous aviez compris qu’il s’agissait de donner enfin aux EHPAD le même taux agent / résident qu’aux ULSD, d’aller vers le ratio un-agent-par-lit inscrit au Plan solidarité grand âge, si vous aviez espéré cela, vous êtes incurablement angélique, ou n’avez pas vécu les épisodes 1 et 2, ou n’en avez jamais entendu parler ; ou pensiez qu’ils ne se reproduiraient jamais…
Eh bien si ! En pire. Le dessein était de fixer des « plafonds » suffisamment bas pour qu’il y ait globalement davantage à reprendre aux établissements qu’à leur redonner : – 13 M€ en 2009 comme en 2010. Pendant ce temps la CNSA [iii], dotée d’un budget autonomie… n’en distribue pas tout et reverse un reliquat à l’assurance maladie : 150 M€ en 2009 et 100 M€ en 2010 !
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Pourquoi les décideurs politiques peuvent-ils – impunément semble-t-il – perpétuer cette politique sinusoïdale ? Sans doute parce que l’intérêt à agir des élus n’est pas assez impérieux, que la question Vieillesse n’a pas encore trouvé son lobbying efficace.
A l’autre bout de l’échelle des âges, ceux qui s’occupent de l’enfance, de l’adolescence et de l’entrée dans la vie active s’alarment également de la stagnation de leurs moyens : un vaste plan de la solidarité intergénérationnelle est donc nécessaire. Il n’est ni impossible ni idéaliste : la France est riche et il sera créateur d’emplois.
Ciel ! Voilà-t-il pas que je m’égarerais à lancer comme un défi à nos candidats, déclarés, possibles ou putatifs, à l’élection présidentielle ? Je n’en ai ni la compétence ni la légitimité ; alors chut !
[i] La médiocre qualité architecturale de certains de ces bâtiments type V. 120 ou V. 240, qui vieillirent plus mal que leurs résidents, est un problème à part qui mériterait que lui soit consacrée une réflexion d’experts…
[ii] – USLD : unités de soins de longue durée (ex long séjour) – EHPAD : établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
[iii] Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie