Non, ne préparez pas vos mouchoirs : aux mille et cent pronostics déjà émis sur la menace d’épidémie de grippe A (H1N1), je ne vais pas ici ajouter le mien. Consultez plutôt votre pythie favorite. Le leurre dont je veux vous entretenir, dans un domaine que je connais mieux, c’est celui de la loi HPST : HPST décriée, HPST amendée, HPST martyrisée… mais HPST promulguée, au terme d’une procédure législative « d’urgence » un peu cahotante.
Qu’avons-nous vu trois mois durant ? De burlesques palinodies ; des médias généralistes ou spécialisés, des syndicats, des organisations représentatives, des personnages « faisant autorité » dans le microcosme, ne pouvant s’abstenir d’avoir l’air informé du tout dernier bruit d’antichambre, revirement du Président, soupir de la ministre, amendement mijotant sur les petits feux parlementaires ou lobbyistes…. Ils furent gâtés : il y en eut chaque jour ou presque !
Pauvre loi HPST, ballotée comme feuille morte au vent mauvais qui l’emportait, chacun supputant doctement dans quel « camp » elle finirait par tomber : celui des directeurs ou celui des médecins, celui du public ou celui du privé libéral ?
E finita la commedia, qui eut été bouffe si elle n’avait révélé un dessaisissement accentué du législatif. C’est sur la mise en musique réglementaire de la loi que se prolonge maintenant le jeu des prévisions. En méconnaissance feinte ‑ ou sinon obtuse ‑ que le pouvoir réel, exécutif, présidentiel… agira au gré des circonstances.
Nous écrivions dès janvier 2008 « La mission Larcher ? Ce remarquable travail suscitera grandes réflexions et beaux colloques… tandis que les décisions se prendront ailleurs » [i] et en avril 2008 « Aujourd’hui comme hier, ce ne sont pas les outils juridiques ou techniques qui créent l’opportunité (pour le privé) ou le danger (pour le public), mais le contexte… » [ii] et en février dernier « Ce projet de loi ne vaut pas toute l’encre et la parole dépensées à son propos » [iii].
Rapport Larcher et loi HPST, sosies en apparence, divergent significativement quant aux contenus profonds et aux perspectives ouvertes. HPST a vidé le rapport de plusieurs de ses orientations intéressantes, modifié ses équilibres et l’a privé de quelques garde-fous. Subsiste une sorte de loi caméléon : pour l’heure on ménage l’hôpital public (afin de lui faire digérer la « nouvelle nouvelle gouvernance ») ce qui irrite les cliniques ; mais demain tout changement de pied sera possible, les béances de la loi le permettant. [iv]
Et puis, n’oublions pas que le vrai risque pour la santé publique et sa possible privatisation viendront surtout de glissements progressifs, en catimini, du système d’assurance maladie et de son financement. Dans un premier temps, déjà, on défausse vers les mutuelles, idéologiquement insoupçonnables puisque non lucratives ; et dans un deuxième temps…..
Pendant que notre communauté hospitalière publique finissait de s’empoigner sur HPST, une discussion d’une autre envergure et d’un autre intérêt se déroula cet été sur l’indispensable financement de la dépendance. L’ancien ministre Philippe Bas proposa l’institution d’une seconde journée de solidarité ; Bernard Courtois suggéra une cotisation assurantielle de 0,10 % à 0,15 % obligatoire mais hors assurance maladie ; et nos amis de la FEHAP (Antoine Dubout et Yves-Jean Dupuis) lancèrent l’idée intelligente d’un prélèvement de 2 % sur les jeux de hasard et d’argent. Enfin un vrai débat !
Dossier plus grave encore, en tout cas significatif : aux Etats-Unis, après Bill Clinton en 1992, le président Obama vérifie rudement qu’il ne faut jamais s’illusionner. Les puissances d’argent (assurances, cliniques privées et industrie pharmaceutique en tête), drapées de libéralisme économique et donc prêchant sans cesse la concurrence… ne la tolèrent plus lorsque pointe l’ombre de l’esquisse de prolégomènes d’une politique de santé publique assortie ‑ trivialité ultime ! des financements nécessaires. Face à une impérieuse exigence démocratique [v], voici que ces gens bien élevés, pondérés, au discours policé et aux bilans clean comme chacun sait, déclenchent une offensive d’une brutalité inouïe.
Dans notre pays, cela ne saurait arriver ? Attends un peu pour voir…
[i] DH Magazine n° 117
[ii] DH Magazine n° 119
[iii] DH Magazine n° 124
[iv] Quant au détail du volet « hôpital » d’HPST, je vous renvoie à l’article d’Hugues Destrem, illustrant de façon magistrale, me semble-t-il, le parti éditorial de DH Magazine, à l’opposé du journalisme de l’éphémère. C’est à ma connaissance le meilleur papier paru à ce jour sur le sujet.
[v] Là-bas, bien que les dépenses de santé atteignent 16 % du PIB, 16 % des Américains, soit 46 millions, n’ont aucune couverture maladie…