Livre : Ville-Evrard – Murs, destins et histoire d’un hôpital psychiatrique – 2008

L’humanisme en pratique

Au moment où notre société s’interroge sur la place qu’elle doit accorder au malade mental, cet ouvrage retrace plus d’un siècle d’histoire de l’un des plus importants hôpitaux psychiatriques français. De l’enfermement à la sectorisation, le lecteur est invité à suivre l’évolution de cette structure humaine et sociale ouverte en 1868 sur une exploitation agricole de plus de 300 hectares. Des milliers d’hospitalisés y ont vécu, souffert, attendu, parmi lesquels Camille Claudel, Antonin Artaud, Komitas, Edouard Herriot. Au-delà des clichés et des idées reçues, l’auteur évoque la réalité de l’hôpital psychiatrique public et l’engagement de psychiatres et d’infirmiers, avec comme fil rouge le respect de la dignité humaine.

L’un des autres mérites du livre est de bien situer chaque chapitre de l’histoire de Ville-Evrard dans le contexte historique plus large de la santé mentale. Ce qui nous permet par exemple de redécouvrir une idée qu’on croit « neuve », à vrai dire curieusement ancienne mais qu’il nous faut défendre avec obstination contre les risques de recul : « Les possédés sont des malades ; au lieu de les châtier, les exorciser et souvent leur faire connaître le supplice du bûcher, il faut les soigner » qui est une magnifique proclamation du Parlement de Paris… en 1768 !

Quant au beau chapitre sur Jean-Baptiste Pussin, simple surveillant, irremplaçable homme de terrain, sans qui Philippe Pinel son « patron » ne serait peut-être pas allé jusqu’à proclamer au début du XIXe siècle qu’il fallait « enlever les chaînes des aliénés », il ne pouvait évidemment que plaire à DH Magazine qui prône inlassablement la primauté des pratiques sur la théorie abstraite. Exigence humaniste si lente à s’imposer qu’il faudra en 1945 que Georges Daumézon s’insurge encore : « l’internement est une conduite primitive de la société devant un malade mental. »

Ce souci du quotidien des malades, André Roumieux l’a forgé dans sa pratique : il fut infirmier psychiatrique à Ville-Évrard pendant trente-six ans. Depuis sa retraite en 1988, il n’a jamais rompu avec son lieu de travail et a entrepris un long travail de mémoire autour de l’institution. Il ajoute à la force historique du récit la subjectivité de son témoignage. Un témoignage entrepris il y a plus de trente ans avec la publication de ses deux premiers livres, Je travaille à l’asile d’aliénés et La Tisane et la camisole.

André Roumieux
juin 2008 – 500 pages – 40 €
L’Harmattan
5-7 rue de l’Ecole Polytechnique
75005 PARIS
www.librairieharmattan.com