Les transhumances estivales sont pour nombre d’entre nous l’occasion de renouer une relation avec la vénérable SNCF ; l’occasion en tout cas d’alimenter un sens bien français de la critique d’autant plus indignée qu’elle peut se fonder sur l’expérience personnelle. Alors citons et récriminons en chœur !
En prélude : bien entendu le train qui n’arrive pas à l’heure ; en variante, celui qui est annulé sans préavis. Une communication consternante (on ne nous informe pas, ou on tonitrue des propos inaudibles dans une sono antédiluvienne, ou on nous livre des explications absconses). Un corporatisme robuste, des cheminots obstinément non-formés à la relation avec l’usager, si bien qu’au moindre problème ils se précipitent dans le déni ou la défensive hargneuse…
Et vous avez sans doute fréquenté ce site internet toujours en « erreur technique », plus que lent : omnibus, fier défi à l’ergonomie intuitive. Ou ces « automates » de billetterie, l’un sur deux en maintenance et donc celui qui reste assailli de voyageurs exaspérés. Vous avez dit retards ? Retards comme c’est bizarre : 97 % des trains sont à l’heure ; c’est la SNCF qui le dit… et qui fixe la mesure du temps qu’il faut laisser au temps pour qu’un retard soit admis à s’appeler ainsi. De toute façon, maintenant, ce n’est plus remboursé mais donne droit humoresquement à des bons de voyage un brin masos (vous avez souffert sur nos lignes ? alors revenez-y !).
Et ces lignes régionales qu’on ferme sauf si les régions qu’on fait un peu chanter acceptent de les financer. Et ces trains qu’on remplace par des navettes d’autocars (merci le CO2 !). Et ces tâches de nettoyage qu’on sous-traite à des négriers n’ayant pas lu Zola ! Le célèbre sandwich SNCF ? C’est devenu une AOC. Et cette idée géniale d’on ne sait quel stratège politico-technocratique de séparer l’exploitation SNCF de l’infrastructure Réseau ferré de France ! Et ces tarifs « modulés » compliqués, fardés de noms mirobolants, dans le dessein transparent d’entourlouper le client et de bonder les rames …
Pourtant on aurait tort de s’en tenir au ricanement car le sarcasme est réducteur. La SNCF c’est aussi une grande institution avec des résultats plus qu’honorables : une desserte du territoire qui reste l’une des plus denses ; une régularité-ponctualité qui demeure enviable ; un TGV qui bat des records ; un taux d’accidents proche de l’incompressible perfection ; un personnel compétent pénétré de ses responsabilités techniques et sécuritaires ; une communauté professionnelle qui sut tenir, à des moments historiques et à des heures tragiques, un rôle que d’autres désertèrent…
Donc il faut s’interroger subtilement sur ce mélange du meilleur et du moins bon. Quelques leçons sont assez facilement transposables : Eviter de dissocier, d’opposer, de mettre en concurrence intellectuelle ou budgétaire les prouesses technologiques profitant à quelques uns et les prestations pour le plus grand nombre. Ne pas croire que l’excellence technique donne ipso facto compétence en toute chose, notamment dans les relations avec les usagers. Ne pas imaginer qu’installer des « têtes d’œuf » au sommet dispense de veiller opiniâtrement à la qualification et à la motivation des lampistes. Ne pas prétendre que la performance des lignes à grande vitesse autorise à supprimer le réseau secondaire. Distinguer après analyse minutieuse et non a priori les tortillards devenus inutiles voire dangereux de ceux qui continuent à répondre à des besoins de proximité. Bref, ne jamais appliquer de schémas à l’emporte-pièce mais faire fonctionner son discernement et cultiver le doute.
Ceci dit et pour sortir du parallélisme ferroviaire, nous avons quelques raisons d’être optimiste. Pour avoir dénoncé la frénésie productiviste de textes et normes, la manie procédurière, la fuite en avant pseudo-réformiste, l’habileté à la défausse en responsabilité, bref les sept plaies qui assaillent l’hôpital depuis 25 ans, nous ne nions pas les innovations qui se sont imposées, à commencer par la démarche qualité. On trouvera dans ce numéro des exemples éclatants d’hospitaliers qui se sont emparés de la problématique de la qualité et manifestement ne la lâcheront plus !
Les observateurs attentifs auront par ailleurs noté qu’en matière de recomposition des structures hospitalières, lentement mais sûrement on sort de la guerre de religions pour engager une approche authentiquement intelligente. Ainsi, à propos de la réorganisation de la cancérologie et des notions de seuils d’efficience, le dernier numéro de la RHF offre un exemple très remarquable et une réflexion de haute portée menée par de grands hospitaliers.
Il faut maintenant franchir une nouvelle étape. Dans un problème complexe, multifactoriel, il est toujours déterminant de saisir judicieusement le bon brin pour dévider l’écheveau. Alors, faut-il muscler le dispositif de certification, étoffer les codex de bonnes pratiques, affiner les procédures et outils d’EPP ? Créer des incitations, pénalisations et sanctions ? Impliquer vigoureusement les acteurs, les responsabiliser, les intéresser, leur fermer toute échappatoire ? Sans doute. Mais le facteur décisif serait peut-être bien d’instaurer et d’imposer la transparence totale, obligatoire, toujours et partout ! Alors on ne voit pas quel professionnel, équipe, institution, métier, prendrait le risque d’une médiocrité assumée, d’un laisser-aller toléré et ne serait pas porté par le courant du toujours-mieux-faire. Si demain l’hôpital est totalement transparent, il n’y aura plus jamais d’Epinal…