2014 08 03 : Rutebeuf

Ce fut l’un des premiers princes des poètes, puisqu’il vécut au XIIIe siècle, donc près de 200 années avant son lointain frère en poésie François Villon.

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A ma génération, on étudiait la littérature du Moyen-Age et du XVIe siècle en classe de seconde. Et dans un programme chargé, Rutebeuf n’avait droit qu’à quelques pages dans le Lagarde et Michard, unique ou en tout cas hégémonique collection de manuels de littérature française.

C’est surtout par la chanson de Léo Ferré gravée en 1955 que nous connaissions Rutebeuf et sa célèbre complainte « Que sont mes amis devenus, que j’avais de si près tenus, et tant aimés… ».

Léo Ferré – 1955

Léo Ferré – Bobino 1958

De Rutebeuf nous ne connaissions rien d’autre, en dépit de nos recherches chez les bouquinistes, car les rares recueils de Rutebeuf que l’on pouvait trouver étaient en langue médiévale, donc illisible pour nous.

Quant à la complainte mise en musique par Léo, elle connut un succès planétaire dans la jeunesse et fut reprise par une multitude d’interprètes :

Catherine Sauvage

Cora Vaucaire

Joan Baez

Philippe Léotard

Vision sans doute romantique et historiquement fausse, mais pour moi Rutebeuf et Villon, étaient les lointains précurseurs de Nerval, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire…

En tout cas, parmi nombre de ses compositions mystiques, de commande, de circonstance, certaines restent incroyablement actuelles, comme ce court poème sur les miséreux de la place de Grève à Paris, précurseurs de nos SDF et réfugiés qu’un vent mauvais emporte, disperse, éparpille :

Le dit des Ribauds de Grève

Ribauds, vous voilà bien en point !
Les arbres dépouillent leurs branches
et d’habit vous n’en avez point,
aussi aurez-vous froid aux hanches.
Qu’il vous faudrait maintenant pourpoints,
surcots fourrés avec des manches !
L’été vous gambadez si bien,
l’hiver vous traînez tant la jambe !
Cirer vos souliers ? Pas besoin :
vos talons vous servent de planches.
Les mouches noires vous ont piqués,
À présent, c’est le tour des blanches.

Comme en poésie la résonance des mots est essentielle et que la traduction ci-dessus donne inévitablement une sonorité différente aux vers d’origine, les voici :

Ribaut, or estes vos a point :
Li aubre despoillent lor branches,
Et vos n’aveiz de robe point,
Si en avrez froit a vos hanches.
Queil vos fussent or li porpoint
Et li seurquot forrei a manches.
Vos aleiz en estai si joint,
Et en yver aleiz si cranche,
Vostre soleir n’ont mestier d’oint,
Vos faites de vos talons planches.
Les noires mouches vos ont point ;
Or vos repoinderont les blanches.

3 août 2014