2014 02 01 : Le sens de la mode, Azzedine Alaïa

La mode ? Elle est définitivement tenue pour futile, voire inutile, inintéressante en tout cas par nombre d’intellectuels ; je n’en fus jamais vraiment un, pourtant j’ai longtemps partagé un peu cette indifférence à la mode et à la couture, bien que ma prime enfance et ma famille en aient été imprégnées. Récemment, je suis revenu sur la question, considérant tout simplement qu’un fait de société qui mobilise des millions de femmes, pas seulement chez nous mais dans la plupart des pays, et pas seulement les pays riches, pas seulement les pays « occidentalisés », a évidemment un sens.

Revue des Deux Mondes 2014-02Evidemment un sens : alors recevant la dernière livraison de la Revue des Deux Mondes (février 2014) titrant Le sens de la mode je ne pouvais que la lire de près. Le dossier constitué sur le sujet est effectivement intéressant, traitant de la mode comme l’art de conserver l’éphémère ou encore comme éloge littéraire du transitoire.

Car c’est, par définition, ce qui constitue la spécificité de la mode : à la fois sa singularité et ce qui explique qu’on la tienne souvent pour fugitive et donc futile. Ce faisant on passe à côté non seulement de la tautologie de Jean Cocteau « La mode, c’est ce qui se démode. », ce qui n’est pas grave, mais aussi de la réflexion limpide de Coco Chanel « La mode se démode, le style jamais. »

Et surtout on méconnaît que le phénomène mérite attention puisqu’il est complexe, aux carrefours de l’art pur et de l’esthétique appliquée, des conventions et de l’anticonformisme, de l’élitisme et du grand public, des fortunés et des pouvoirs d’achat modestes, de l’industrie de main d’œuvre et de la spéculation financière, de l’inutile revendiqué et de l’utilitarisme élaboré.

Azzedine-Alaia-portrait-GraziaDans ce dossier de la Revue des Deux Mondes, je fus plus particulièrement intéressé par l’entretien avec Azzedine Alaïa. En premier lieu parce que c’est l’un des stylistes qu’a priori j’aime le plus, en raison de ses lignes épurées et sobres, de son choix rigoureux de quelques couleurs intemporelles (le blanc, le noir, le vert, le rose…), de sa personnalité qui ne me semble ni paranoïaque ni mégalomaniaque.

Ensuite, parce que d’emblée il met en avant ce qui est fondamental dans son art, comme dans tous les autres : l’humanisme « J’ai été élevé par ma grand-mère à Tunis. A cette époque c’était une ville où les origines et les confessions cohabitaient harmonieusement. Il y avait des juifs séfarades, des Italiens, des Français… C’était vraiment un mélange très heureux. Je ne connaissais ni le mot « racisme » ni les différences entre les religions. »

Azzedine-Alaia-Couture-FA-11Plus loin, au lieu de poser au génie inspiré, il démontre sa modestie : « J’ai besoin de la matière : c’est en partant d’elle que je découvre la forme que prendra le vêtement. Quand j’ai une idée, je fais un dessin pour ne pas l’oublier. Mais mon travail commence vraiment sur le mannequin… »

azzedine-alaiaEt combien il se considère simplement au service de la femme : « Quand une femme entre quelque part, c’est elle qu’on doit remarquer en premier, pas sa robe…. Lorsque je crée un vêtement, je pense aux femmes qui vont le porter : comment il peut leur être utile… Je refuse de mettre en boutique des vêtements trop sophistiqués : le prêt-à-porter doit être facile à porter. »

Enfin : « En aidant les femmes à se sentir belles, j’essaie de leur donner confiance en elles. J’adorerais qu’une jeune femme trouve un fiancé chaque fois qu’elle porte une de mes robes. »

N’est-ce pas cela, tout simplement, le retour aux sources, qui peut réconcilier l’essentiel et le futile ?

1er février 2014