Ce qu’il y a de bien avec la gériatrie (ou plus largement la gérontologie, comme vous voudrez) c’est qu’à la différence de certaines disciplines médicales où le progrès se ponctue de cymbales technologiques et sons de trompe médiatiques, il s’avance ici sans tapage et franchit les étapes discrètement.
Il y eut des décennies d’indifférence, lorsque les hospitaliers eux-mêmes plaçaient les questions relatives aux « hospices » et « services de chroniques » en toute fin d’ordre du jour des séances de leur CA ou de leur Fédération. Où Louis Del Nista prêchait dans un désert d’Assises indifférentes.
Il y eut la décennie de création des premiers forfaits de soins ; combat où l’on se construisait facilement… de nombreuses inimitiés parmi des gestionnaires ou médecins de caisses et certains représentants de l’Etat. Ainsi lors de la cérémonie d’inauguration d’un des premiers centres de long séjour auquel j’avais apporté ma pierre, le préfet déclara d’un ton sévère qu’il fallait « en finir avec l’irresponsabilité budgétaire et que si cet établissement était à refaire… on ne le referait pas » !
Il y eut la décennie où furent expérimentés des outils d’évaluation de la dépendance et mis en exergue les droits des personnes âgées, les exigences de vie sociale et d’animation, de qualité par l’évaluation et la comparaison permanentes. Démarche pragmatique et parfois un peu bricolante ; mais les idées essentielles aujourd’hui étaient là : on y croyait ! Pascal Champvert se chargea de leur donner l’amplification qu’il fallait.
Ce qu’il y a de bien avec la gériatrie c’est qu’elle n’exige pas d’artifice ou vanité. Elle nécessite peu de « masse critique » : dès lors qu’on travaille en filière, elle peut aussi bien s’exercer en CHU ou en EHPAD. Elle abolit les privilèges : le plus lourdement équipé n’est pas forcément le meilleur. Elle transcende les castes et à cet égard, la scission entre DESS et DH apparaît comme un compartimentage plus ou moins discutable, alors que compétence… et incompétence sont transversales.
Ce qu’il y a de bien avec la gériatrie c’est que ses moyens, enfin, augmentent ! La plupart des professionnels saluent le Plan solidarité grand âge et les débuts prometteurs de sa mise en œuvre. Même si l’on déplore ce qu’il ne fait pas encore et les crédits qu’il n’attribue pas d’emblée, un optimiste raisonné incite à penser que la partie est gagnée. Proposons une analogie avec ce qui arriva à l’enfance inadaptée dans les années 60-70. Elle venait de loin, très loin, au plan des moyens comme en qualité de prise en charge. Mais dès lors que l’opinion publique fut massivement sensibilisée, les politiques s’activèrent, les bourses se délièrent, les administrations s’ébrouèrent, les jeunes, nombreux, se prirent d’affection pour ses carrières et ses défis. Les jeunes ? C’est la grande chance de l’action gérontologique d’aujourd’hui.
Ce qu’il y a de bien avec la gériatrie c’est que tout le monde veut s’y mettre. On ne peut qu’éprouver de la sympathie pour le dynamisme du secteur privé non lucratif qui bien souvent fut précurseur. Et pour le monde associatif : nombreux parmi nous furent simultanément responsable d’un établissement public et participant d’une association de maintien à domicile, ADMR ou UNASSAD, lorsque la réglementation interdisait aux EPS d’intervenir directement. Nous sommes plus circonspects quant au privé lucratif. Il est fortement porté actuellement par un marché en croissance et une contre-réforme idéologique (appelons un chat un chat). Il se verrait volontiers hégémonique, réduisant le secteur public aux dépouilles tandis que le concept de solidarité est en crise.
Mais ce qu’il y a de bien avec la gériatrie c’est qu’elle opérera une sélection. Certes le consommateur est libre et nul ne saurait brider l’initiative commerciale face à un client éclairé. Mais le client, justement, s’informe et exige ; après quelques engouements, ses choix s’affinent. Un vocable bien vulgaire a fait son apparition : « l’or gris », qui trahit l’optique unilatéralement affairiste dans laquelle certains situent leur entreprise. Ceux-là ne tiendront pas longtemps : juste le temps d’une bulle spéculative. « L’âge d’or… c’est après l’âge d’argent » chantait Jacques Brel.
A ceux qui n’ont pas eu le loisir de lire Les Métamorphoses d’Ovide, précisons que le Poète ne caractérise pas l’âge d’or principalement par la surabondance, le luxe et la richesse ; mais d’abord parce que l’homme y garde son libre arbitre, sans être contraint par les lois, parce que de son propre mouvement il cultive la justice et qu’il ne connait d’autres biens que la simplicité et l’innocence. La peine et la crainte en sont entièrement bannies…