2023 08 26 : Un chien a-t-il une âme ?

En vieillissant, je pense plus souvent aux personnes que j’ai connues et désormais disparues, à « L’inflexion des voix chères qui se sont tues », comme dit Paul Verlaine ce poivrot magnifique. J’y pense non pas avec tristesse parce qu’en vieillissant je serais porté à la mélancolie ; mais avec plaisir, avec amusement : le souvenir des jours heureux ne vient pas jeter de l’ombre sur mes jours actuels.

Et d’ailleurs si je songe aux chers regards qui se sont éteints, ce n’est pas forcément aux morts que je pense, mais aux personnes que j’ai connues et que je ne vois plus, que j’ai fréquentées et que je ne rencontre plus, avec lesquelles j’ai travaillé et auxquelles aucun projet ne me lie plus… Bref à celles et ceux avec qui les chemins de la vie ont bifurqué pour diverses ou inévitables raisons.

Par contre je pense rarement, sinon jamais, aux quelques gens avec qui je fus fâché, en délicatesse, en conflit, parfois sévère. Parce que je n’apprécie pas de penser à des choses négatives… et que mon avancée en âge produit d’incontestables effets : je deviens économe de mes efforts, or la colère et le ressentiment en sont un, inutile en plus !

Je ne sais plus quel philosophe, cartésien attardé, déclarait un jour sur France Culture : « les chiens n’ont pas d’âme ». Il ne devait pas en avoir, lui (de chien) pour proférer une telle… ânerie. En retrait même sur les religions les plus circonspectes, car par exemple la Bible distingue l’âme humaine qui ira au paradis mais aussi l’âme animale.

Sur un point je conteste François Cheng, que j’admire par ailleurs, lorsqu’il écrit : « les humains, seuls conscients d’être des mortels » [1] Car là, je pense à nos chiens. Nous en eûmes cinq. J’eus mission d’en conduire quatre chez le vétérinaire pour leur dernière piqûre, celle qui allait leur apporter le repos et la cessation de leurs tourments (vous savez cet avantage qu’on refuse encore à l’homme dans notre pays des Droits du susdit…).

J’eus le privilège de les accompagner à l’euthanasie : je ne dis pas que ce fut une corvée. Certainement pas ! Car être avec eux pour leurs derniers moments était la moindre des choses que je leur devais.

Et donc quatre fois, à plusieurs années d’intervalle j’eus une sensation aussi violente qu’indémontrable, donc traduisant peut être une réalité ou un simple effet de mon émotion : l’impression, le sentiment, la certitude que ce compagnon savait où je le conduisais, comprenait ce qui allait lui advenir et me témoignait finalement une tranquille reconnaissance d’être auprès de lui pour ses derniers instants.

26 août 2023

[1] Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie, Albin Michel 2013, p. 46