Etant un lecteur éclectique et indulgent, il m’arrive rarement d’être mécontent d’une lecture, et dans ce cas je préfère tout simplement ne pas parler du bouquin.
Mais là, mais là, je dois faire une exception. Je dois exprimer et expliciter mon irritation et même ma colère. Ah là, non là, je ne serai ni longanime, ni magnanime… envers moi-même ! Mon ego-mansuétude ne s’appliquera pas, même avec soixante années de recul.
Mon irritation ? Elle est suscitée par le fait que je viens de refermer à l’instant L’Ile d’Arturo, roman de l’Italienne Elsa Morante.
Car la traduction française de ce roman est parue en 1963 et je ne l’avais pas lu ; pire je ne l’avais pas même remarqué en rayon de mes librairies favorites. Plus pire encore, à peine si je l’avoue à voix basse : jusqu’à la semaine dernière je n’avais lu aucun de ses quatre romans, cinq recueils de nouvelles et autres de ses ouvrages.
Je suis en colère contre bibi car dans cette époque adolescente, je m’étais pourtant entiché d’Alberto Moravia, j’avais lu tous ses livres parus… lui qui fut son mari.
Cette lacune fut elle l’effet de mon ignorance (sauf défaillance de mémoire, je ne me souviens pas qu’Elsa Morante eut été célébrée dans la presse française jusqu’à la parution de son grand succès La storia en 1974) ? Ou conséquence navrante de mon phallocentrisme inconscient (car là, je me souviens très bien qu’à l’époque je lisais beaucoup plus d’écrivains que d’écrivaines…) ?
Je suis furieux contre le lecteur que je ne fus pas, car ce roman est exceptionnel.
C’est le récit, à la première personne, des débuts dans la vie d’Arturo, de l’enfance à l’adolescence et au jeune adulte, sur l’île de Procida au large de Naples, totalement mais fièrement isolé, car sa mère est morte, son père Wilhelm ne vient que très épisodiquement et pour quelques jours. Arturo est plein d’illusions sur ce père mythique, illusions qui s’évanouiront peu à peu. La dimension psychologique du personnage est subtilement décrite par Elsa Morante, qui fait preuve d’une belle finesse féminine, sans comparaison avec les pages sommairement psychologisantes d’Alberto Moravia qui me plaisaient tant.
Et puis surgit dans la vie d’Arturo l’arrivée de Nunziata, une jeune fille à peine plus âgée que lui et qui est… la nouvelle épouse de son père, lequel les laisse seuls durant des mois. N’allez pas subodorer une inévitable relation fautive entre Arturo et Nunziata, ce n’est leur genre ni d’elle ni de lui. Rien. A peine un baiser volé que d’ailleurs Arturo se reprochera amèrement. Et les allusions à leur relation affective quelquefois ambiguë sont évoquées par Elsa Morante avec une délicatesse infinie, aux antipodes là encore des petites audaces érotiques d’Alberto Moravia.
La suite et l’épilogue, vous les découvriez vous-même si vous n’avez pas encore lu ce merveilleux roman.
8 juillet 2023