Lorsque j’évoque Johannes Tinctoris auprès d’amis musiciens, quelques-uns ont de ce Franco-Wallon de la Renaissance (1435 – 1511) une vague réminiscence comme juriste, théoricien de la musique, auteur de traités et dictionnaires musicaux, très lié aux milieux cléricaux. Aucun ne le connait comme compositeur de musique religieuse et profane.
Sauf moi ! Sans aucun mérite, car n’étant ni musicologue ni même mélomane averti, je suis venu à connaître Tinctoris par des voies détournées. Un soir d’il y a longtemps, j’entendis une messe annoncée comme Messe de l’homme armé ; j’avoue ne plus me souvenir de quel compositeur renaissant elle pouvait être, n’ayant pas conservé le programme. Ma curiosité ne fut pas éveillée par sa valeur musicale, que je trouvai somme toute banale dans cette époque foisonnante en musique religieuse, mais par son titre. Et plus tard, plusieurs mois plus tard, je recherchai sur l’indispensable Internet la raison de cet intitulé.
Et là je sus qu’antérieurement à la Renaissance il s’agissait d’une chanson profane très populaire. S’agissant de l’origine de son titre, les hypothèses surabondent, faute de source probante. Certains affirment que l’homme armé serait l’archange St Michel terrassant le démon donc le mal ; d’autres soutiennent que plus prosaïquement l’homme armé était le nom d’une taverne de Cambrai, repaire d’artistes et musiciens comme il se devait déjà à l’époque ; des historiens patentés déduisent que la rengaine l’homme armé participe d’un appel à une nouvelle croisade contre les Turcs qui l’avaient bien cherché (salauds de musulmans, déjà !) puisqu’ayant pris Byzance en 1453. Peut-être un peu de tout cela.
Le lien de ce « tube » populaire avec une messe sacrée ? A l’époque, pour renforcer l’adhésion du bon peuple au catholicisme, les compositeurs pratiquaient couramment le cantus firmus : utiliser une mélodie populaire comme thème musical d’une messe, en latin comme il se doit. Réemploi tellement fréquent que cette ritournelle l’homme armé fut utilisée dans quarante messes qui nous sont parvenues !
Alors bref, au terme de ce considérable enrichissement de ma connaissance musicologique… je ne savais toujours pas de qui était cette Messe de L’Homme armé que j’avais entendue ! Et j’entrepris courageusement de les écouter toutes par le truchement du bienveillant Internet.
Enfin toutes… celles qui étaient accessibles en ligne : de Josquin des Prez, de Pierre de La Rue, de Cristóbal de Morales, de Giovanni da Palestrina, de Giacomo Carissimi, de Robert Morton, de Guillaume Dufay, d’Antoine Busnois, de Guillaume Faugues, de Johannes Regis, de Johannes Ockeghem, de Firminus Caron, de Jacob Obrecht, de Loyset Compère, de Francisco Guerrero… et d’un certain Johannes Tinctoris. Près de la moitié des quarante recensées !
Mais j’étais toujours incapable d’identifier celle que j’avais, sans doute distraitement, entendue.
Cependant ce me fut là profitable occasion de découvrir des compositeurs que j’ignorais, et parmi eux ce Johannes Tinctoris qui me semble mériter bien mieux que ce quasi-oubli dans lequel il demeure, ou son cantonnement dans une fonction de scribe musical. Car à mon sens il a du style, de l’inspiration et surtout du sentiment, ce qui était peu répandu dans la musique sacrée de l’époque.
Ecoutez sa Messe de L’Homme armé et puis aussi, par exemple, ses Lamentations de Jérémie.
13 février 2023
Johannes Tinctoris – Missa l’Homme Armé
Johannes Tinctoris – Lamentations de Jérémie