Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;
Le Plaisir vaporeux [1] fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide [2] au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
À chaque homme accordé pour toute sa saison [3].
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! — Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember [4] ! Souviens-toi, prodigue [5] ! Esto memor [6] !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre [7], sont des gangues [8]
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide [9]
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre [10] se vide.
Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,
Où l’auguste [11] Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge ! [12]),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
Georges Chelon 1997
Terragon 2022