Galanteries : VIII – LE JET D’EAU

Tes beaux yeux sont las, pauvre amante !
Reste longtemps, sans les rouvrir,
Dans cette pose nonchalante
Où t’a surprise le plaisir.
Dans la cour le jet d’eau qui jase [1]
Et ne se tait ni nuit ni jour,
Entretient doucement l’extase
Où ce soir m’a plongé l’amour.

La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phœbé [2] réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.

Ainsi ton âme qu’incendie
L’éclair brûlant des voluptés [3]
S’élance, rapide et hardie,
Vers les vastes cieux enchantés.
Puis, elle s’épanche, mourante,
En un flot de triste langueur [4],
Qui par une invisible pente
Descend jusqu’au fond de mon cœur.

La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phœbé réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.

Ô toi, que la nuit rend si belle,
Qu’il m’est doux, penché vers tes seins,
D’écouter la plainte éternelle
Qui sanglote dans les bassins !
Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonnez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour.

La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phœbé [5] réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.

Georges-Chelon-1997

Debussy – Dawn Upshaw

Debussy – Hugues Cuenod

Debussy – Susan Graham

Ce poème en forme de chanson avec refrain aurait été inspiré à Baudelaire par Pierre Dupont, chansonnier et poète (1821 – 1870) pour lequel il nourrissait une vibrante estime et dont il préfaça en 1851 le recueil des œuvres.

[1] Figuré : murmure.
[2] Ou Artémis dans la mythologie grecque et Diane dans la mythologie romaine : déesse de la nature, de la chasse et de la vie féminine (naissance, puberté et mort). Elle est l’une des déesses associées à la Lune.
[3] Plaisirs sensuels.
[4] Figuré: affaiblissement moral et/ou physique causé par les fatigues de l’esprit, les peines de l’âme, ou la passion de l’amour.
[5] Personnifie la Lune.