La semaine dernière je tombai sur un libelle vitriolique dont il me faut, pour vous en faire sentir la corrosion désabusée, vous délivrer un large extrait :
Le pays a perdu toute intelligence et toute conscience morale. Les mœurs sont dissolues, les consciences en débandade, les caractères corrompus. Comme mode de vie on n’a comme unique directive que ce qui est à notre convenance. Il n’est pas de principe qui ne soit démenti. Pas d’institution qui ne soit raillée. On a perdu le respect de soi-même. Plus la moindre solidarité entre citoyens. Personne ne croit à l’honnêteté des hommes publics.
La classe moyenne tombe peu à peu dans l’imbécillité et l’inertie. Le peuple est dans la misère. Les services publics sombrent dans une routine somnolente. Le mépris des idées augmente de jour en jour. Toute vie spirituelle, intellectuelle, arrêtée. L’ennui a envahi tous les esprits. La jeunesse se traîne, vieillie, des tables des bureaux à celles des cafés. La ruine économique n’en finit pas de s’accroître. Les faillites s’enchaînent. Le petit commerce se meurt. L’industrie périclite. Le sort des ouvriers est lamentable. Les salaires ont baissé. Tous les revenus ont baissé eux aussi. L’État, dans son action fiscale, est considéré comme un voleur et traité comme un ennemi.
Dans ce sauve-qui-peut la bourgeoisie propriétaire fait monter les loyers. L’agiotage fait monter les intérêts. L’ignorance pèse sur le peuple comme une fatalité. Entre-temps, l’intrigue politique augmente. le pays vit dans une somnolence blasée.
Ce n’est pas une existence, c’est une expiation. La certitude de cette décadence a envahi toutes les consciences. On dit de tous côtés : le pays est fichu ! Personne ne se fait d’illusions. Et que fait-on ? On affirme que du nord au sud, dans l’État, dans l’économie, dans la morale, le pays est en pleine décomposition… et on commande un cognac !
Vous aurez reconnu, selon vos intuitions, préventions ou affinités, du Mélenchon ou du Bayrou, du Philippot ou du Bertrand, du Piolle ou du Pécresse, du Montebourg ou du Zemmour… bref l’un quelconque des candidats putatifs, en discours de rodage et d’échauffement pour la présidentielle de l’an prochain (pas la neuneu Le Pen : elle ne pense ni ne s’exprime aussi correctement).
Eh bien vous avez tout faux !
Il s’agit de la page introductive du livre que je cite en titre, et ces piques et banderilles furent plantées… en 1871 !
Pour vous donner l’envie de le lire ; si vous êtes fatigué des voyages saturés d’émissions de CO2 qu’il faut pourtant, maintenant et pas plus tard, réduire au strict indispensable ; las de l’agitation vociférante et vibrionnante de nos rues, de nos nuits, de nos « fêtes » ; courbaturé de nos randos, de nos sports de glisse ou de déglingue vertébrale ; que sais-je encore… alors, faites ce que recommandait le vieux Léo Ferré : « Je préfère les bouquins, qu’ont pas d’horaire, qui roulent sous la lampe familière ».
Avec ce livre je vous garantis un passionnant voyage au Portugal. Au Portugal du XIXe siècle, certes, mais nombre des piques et banderilles de l’auteur sont d’une savoureuse actualité.
Et ce Portugais affectionnait la France et sa culture… tout autant que j’aime le Portugal, sa littérature et sa musique. Mais pas suffisamment, hélas : José Maria de Eça de Queirós a écrit plus de trente ouvrages, dont plus de dix traduits en français… et je n’en ai lu que trois !
27 août 2021