Quelquefois on me demande s’il est pertinent d’offrir des livres de Marguerite Duras à des adolescents ; et je suis bien hésitant à répondre.
Non pas tant à cause des situations érotiques évoquées dans ses pages : les jeunes en savent et en voient bien plus qu’on ne l’imagine.
Ce qui me pose question est l’accessibilité de l’œuvre de Duras, eu égard à son style, à son écriture. J’en fis l’expérience moi-même : venu à Duras par certaines de ses œuvres j’en fus rebuté durablement et n’y revins qu’il y a peu d’années.
Je crois d’abord qu’il faut éviter de lire ses pièces de théâtre.
Le théâtre en général n’est pas fait pour être lu. Mises à part les œuvres déclamatoires ou versifiées, le théâtre doit être vu vivant, avec sa mise en scène et ses décors en souhaitant qu’ils n’occultent pas le texte, et pour ses interprètes en espérant qu’ils soient excellents.
Car la voix du texte récité magnifie les grands auteurs et singulièrement Duras : je garde un souvenir durable de La Passion Suspendue récitée par la captivante Fanny Ardant au tout début de cette année.
Il faut ensuite éviter de commencer par lire les propos de Duras qui ont mal résisté à l’épreuve du temps : ce n’est pas lui faire injure car les plus grands des littérateurs voient tous, presque tous, la partie circonstancielle de leur œuvre s’être fanée à notre manière de voir et de comprendre contemporaine.
Enfin, il faut le dire puisque c’est désormais incontestable, certains textes de Duras furent rédigés dans ses épisodes d’addiction éthylique et ce délire hélas n’était pas de nature à bonifier sa lucidité et son style.
Mais il faut lire Duras ! Ses romans, ses récits !
Ses romans, un temps rangés par quelques critiques paresseux au casier dérisoirement périmé aujourd’hui du Nouveau roman, sont maintenant appréciés pour eux-mêmes et non pour cet apparentement peu flatteur.
Il faut lire un par un, à votre humeur (progressivement, surtout pas d’affilée sur la plage en deux semaines de vacances !) presque tous ses romans :
- La Vie tranquille
- Un barrage contre le Pacifique
- Le Boa
- Madame Dodin
- Les Chantiers
- Le Square
- Dix heures et demie du soir en été
- Le Ravissement de Lol V. Stein
- Le Vice-Consul
- L’Amant,
- retravaillé 20 ans plus tard en L’Amant de la Chine du Nord…
Pas toujours faciles au premier abord, certes, car Duras a créé un style neuf, très personnel, parfois déroutant… mais une fois installé dans son récit on est captivé !
Encore une phrase, sur l’édition : il y a certes ses œuvres complètes publiées en quatre volumes dans la collection La Pléiade ; quant à moi je me suis contenté de ses œuvres choisies en un volume de la collection Quarto, de surcroit agrémentée d’une remarquable iconographie.
4 novembre 2020