Je dois l’avouer : voilà un film qui m’a causé une très mauvaise surprise, m’a plongé dans un abîme d’amère réflexion et même dans un marigot d’oiseuse méditation existentielle.
Mais d’abord, ce film d’Allan Mauduit c’est quoi ?
Cela se veut une comédie fondée sur un scénario désopilant : Sandra (Cécile de France) est une paumée : chômeuse non qualifiée sinon d’un titre déjà périmé de miss Nord-Pas-de-Calais ; tellement à la dérive n’est-ce-pas qu’après des années mirifiques sur la Côte d’Azur des stars et des prospères, elle doit revenir vivre chez maman… à Boulogne-sur-Mer.
Une première péripétie positive est vite suivie d’une catastrophe : embauchée dans la conserverie du coin (le must : conserverie de poisson bien sûr, puisqu’on est à Boulogne), elle subit illico le harcèlement de Jean-Mi, son contremaitre Mi-porc Mi-cochon. Impulsive, elle le châtie d’une façon que je ne saurais approuver ni même décrire, mais si vigoureusement que, manque de bol (pour elle et subsidiairement pour lui aussi), il finit par défunter inpartibus.
Deux de ses collègues sont témoins de la scène : Marilyn (Audrey Lamy) et Nadine (Yolande Moreau). Comme ces gueuses incultes ignorent l’article 434-1 du code pénal, ou l’ont oublié depuis longtemps, elles ne dénoncent pas le crime à l’autorité judiciaire.
Pire encore : fouillant dans les tiroirs du gisant elles y découvrent un joli lot de grosses coupures (prémonitoires pour le povre Jean-Mi ?) et d’un élan aussi spontané que consensuel, voilà que les trois larronnes vont se les partager.
La suite, je ne saurais la spoiler d’autant qu’il me faudrait fouler aux pieds mon éthique personnelle héritée des pères jésuites… Un indice : les coscénaristes Allan Mauduit et Jérémie Guez ont cru malin de nommer le commissaire de police M. Digne.
Enfin bref, vous l’aurez deviné, j’ai beaucoup ri, je suis sorti de la salle les yeux embués et l’esprit rock’n roll, enchanté de cette solidarité féminine impavidement immorale, de ces trois héroïnes remarquablement énervées et culotées (si, si !), de cette vulgarité plaisante, de ce scénario déjanté, de cette exquise crudité.
Alors donc, pourquoi le lendemain à l’aube bien sonnée (car c’est dingue comme les jours rallongent actuellement, c’est même la seule de mes ressources qui augmente), pourquoi donc ne restai-je pas dans une émotion hilarée et réjouie, mais tombai-je dans un gouffre de sinistrose ?
C’est que, voulant m’amuser encore un peu, je parcourus la presse, rubrique critique cinématographique. Savourant un crème et un croissant je m’apprêtais à déguster avec gourmandise une litanie d’indignations, de protestations, d’imprécations contre ce long métrage grossièrement anarchiste, populiste, voire giléjauniste…
Horrific ! Pas du tout ! La presse de droite applaudissait, celle de gauche aussi ! Toute la presse, toute ! A l’exception bien sûr des ronchonchons incurables : Les Inrockuptibles, Première et le premier en austérité via ferrata, j’ai nommé Télérama.
D’où la moralité déprimante mais incontestable que je dus en tirer, à mon dam qui fut grand et reste inconsolé : mon anticonformisme est périmé, ma causticité dépassée, ma loufoquerie éventée ; on ne peut être après avoir été.
15 mars 2019