Sortant de la salle je me disais que voici, singulièrement, un film qui soulève davantage d’interrogations qu’il ne suscite d’opinions.
L’intrigue, l’argument plutôt ? Julian Rosefeldt aborde, à travers treize scènes, les tendances, écoles, manifestes (d’où son titre) de l’art et de la littérature du siècle écoulé : situationnisme, pop art, surréalisme, dadaïsme, minimalisme, art conceptuel, postmodernisme, et j’en oublie sans doute.
Tout d’abord on peut ressentir que treize sketches c’est un peu beaucoup, car sur 90 minutes cela fait donc une durée moyenne de 7 minutes. L’avantage est que ce n’est pas interminablement bavard. L’inconvénient est que ces doctrines esthétiques ayant été généralement complexes dans leur affirmation et prolixes dans leur expression, le parti pris pour chaque scène est une énonciation des phrases les plus choc, certains diront une pontification des phrases les plus cultes, voire cu-cultes.
Le réalisateur s’expose (délibérément ? première question) à cette critique en faisant scander ces fragments sur un ton péremptoire, catégorique, définitif. Trop brièvement en tout cas pour que la signification réelle de ces « pensées » n’en soit fâcheusement estropiée. Grave perte de sens comme diraient les cultureux radiophoniques.
S’agit-il vraiment d’exalter ces décennies glorieuses où la littérature et tous les arts, musique, danse, peinture, sculpture, cinéma, se sont renouvelés et où d’autres se sont créés ? Julian Rosefeldt n’a-t-il pas voulu au contraire dézinguer ces doctrines périmées en pointant leurs ridicules, leurs emphases, leurs postures ? Deuxième question. J’ai là ma petite intuition car on relève fugacement quelque trace d’ironie qui chez un Allemand n’est jamais incontrôlée.
Serait-ce alors à dessein de faire table rase, non par nihilisme mais pour ouvrir la voie à d’autres révolutions culturelles ? Troisième question.
Finalement, quel est le but, plus exactement la portée recherchée ? Sensibiliser un large public aux métamorphoses culturelles récentes ? Quatrième question. Objectif alors raté : je parie les œuvres complètes de Guy Debord sur papier bible que le film ne grimpera pas aux 10 premières places du box-office.
Le dessein de Julian Rosefeldt, tout aussi Allemand que Karl Marx, est peut-être, cinquième question, de dénoncer férocement la soumission actuelle de l’Art, non pas aux riches (cela ne date pas d’hier) non pas au marché de l’art (cela date de l’apparition des marchands en général) mais aux méga-opérateurs financiers dans leur espèce la plus inculte, la dictature des barbares sur les créateurs ? Objectif raté là aussi, car alors il eut fallu démontrer avec la même vigueur imprécatoire que fondations et musées Cartier, Getty, Guggenheim, Pinault, Arnault et j’en omets, ne sont que le cache-sexe de leur obscène priapisme capitalistique.
Mais le personnage toujours différent qui anime chacune de ces treize scènes est interprété par Cate Blanchett. Incroyable ? Extraordinaire ? Performance d’actrice hors norme ou cabotinage ? La question, celle-là, ne se pose même pas : allez voir le film et vous en conviendrez.
Et puis il y a l’image. Superbe, une technique de cadrage, de lumières, de mouvements de caméra qui vont au-delà de l’esbroufe et la question de savoir si Julian Rosefeldt est un grand artiste ne sera donc pas posée non plus.
28 mai 2018