Au moment où je cesse mon activité professionnelle, je me remémore avec émotion quelques personnes que mes deux métiers m’offrirent la chance de rencontrer.
- Patrice ABLAIN, directeur d’hôpital, juriste chevronné et LE spécialiste à mon avis le plus pointu de la jurisprudence et du droit disciplinaire de la fonction publique hospitalière. Dans les revues de santé auxquelles je collaborai, il me précéda dès 1990 et m’accompagna jusqu’au bout en 2017… et cela gratuitement, pour l’honneur du Droit public !
- Yvonne ARNOULD : qui se souvient encore de cette directrice de l’hôpital de Grasse, puisqu’elle prit sa retraite quand moi j’entrai dans la carrière en 1973 ? Durant la Seconde Guerre mondiale, directrice débutante dans un hôpital psychiatrique de l’Est, elle abrita des Juifs, leur évitant la déportation, et des aviateurs alliés abattus, en attendant leur exfiltration vers l’Espagne. Elle me soutint Indéfectiblement dans mes projets et initiatives et m’aida énergiquement à en réaliser certains car elle avait conservé d’importantes fonctions de représentation dans le milieu hospitalier.
- Isidore ATLAN : un avocat rencontré presque par hasard il y a près de vingt ans, qui m’éblouit en me présentant la lutte contre les violences routières non seulement comme un impératif de santé et de moralité publiques, approches auxquelles j’étais habitué, mais d’abord comme un devoir humaniste, philosophique, spirituel et religieux. L’écoutant, je songeais irrésistiblement au grand philosophe Lucien Jerphagnon que j’admirais déjà.
- François AUTAIN, médecin et sénateur, rigoureux spécialiste des questions de santé comme on souhaiterait en voir davantage dans le monde parlementaire. Il ne rechercha jamais les projecteurs médiatiques : m’ayant reçu deux fois pour interview, il refusa que celle-ci soit publiée, m’orientant vers d’autres interlocuteurs « dont les propos seront plus intéressants pour votre journal » ! Il accomplit sa mission à la Chambre Haute et dans diverses commissions avec un sérieux exemplaire jusqu’à son retrait de la vie politique fin 2011.
- Sylvia BENZAKEN, praticien hospitalier au CHU de Nice, vice-présidente de la CME, en charge de la démarche qualité en 2007, elle fut la première à me parler enfin de la certification et de l’accréditation en termes pratiques et pragmatiques et non en langage bureaucratique (bureaucratie qui conduisit malgré tout cette démarche qualité là où elle en est aujourd’hui au plan national).
- Michel CAMBON était un poète. Rencontré à l’occasion de mon métier direz-vous, comment fut-ce possible ? Mais si, mais si, j’invitais souvent des artistes et des poètes et Michel fut un poète angélique devant l’Eternel, qu’il a d’ailleurs rejoint depuis treize ans déjà.
- Le Dr Ricardo CARBAJAL m’exposa fin 2006 les investigations qu’il avait dirigées dans le cadre de l’étude EPIPPAIN ‑ sous l’égide du CCNRD, de l’Hôpital Armand-Trousseau et avec le soutien de la Fondation CNP ‑ sur la douleur de l’enfant. Je me revois frémir lorsqu’il m’exposa que, jusqu’aux années 90, on négligeait les traitements analgésiques lors d’actes médicaux douloureux sur les nouveau-nés parce que, figurez-vous, on estimait que le système nerveux de ces bambins n’était pas encore parachevé !
- Antonio CASILI, entre autres titres chargé de cours à l’EHESS de Paris. En avril 2011 à Strasbourg lors des Journées d’Euro Cos, nous livra un exposé étincelant et prémonitoire sur les Usages numériques en santé.
- Jean CHANTON grand Résistant sous le nom de Bastos, bras droit de Jacques Renouvin aux Groupes francs du mouvement Combat, arrêté en avril 1943, torturé par Barbie puis déporté à Mauthausen. En 1978, Commandeur de la Légion d’Honneur, il m’honora de son amitié et intervint auprès de ses amis Lucien Neuwirth, Simone Veil, Pierre Guillain de Bénouville et Paul Milliez pour faire agréer mon nouvel hôpital dont l’autorisation était au point mort.
- Jean-Marie CLEMENT : un directeur d’hôpital comme il y en eut peu, très peu, trop peu, à tel point d’ailleurs qu’il se mit en disponibilité bien vite et consacra la majeure partie de son énergie débordante à écrire des livres dérangeants et participer à des colloques décoiffants.
- Le Pr Alain CRIBIER, chef du service de cardiologie au CHU de Rouen : rarement je rencontrai un homme à ce point passionné par sa mission, grand inventeur (dilatation aortique, valves percutanées), pourfendeur inlassable des lourdeurs de la recherche française. Mondialement connu, médaillé, il est resté d’une peu courante modestie.
- Mireille DAMIANO, infatigable avocate que je connais depuis 1978, qui continue à œuvrer avec obstination, compétence et réussite pour les plus belles causes. Par exemple, ces dernières années, pour défendre des personnes qui, dans les Alpes-Maritimes, osent prêter secours, abri et assistance à des réfugiés, et qui rien que pour cela sont déférées devant la Justice par le préfet, vexations indignes de la patrie des droits de l’homme.
- Stanislas DEHAENE, professeur de neuro-imagerie cognitive à l’Inserm et au Collège de France. Il conduit des recherches (vertigineuses pour le profane) sur le cerveau, ce continent longtemps inexploré par la médecine. Chaque année, je m’étonne qu’il ne soit pas récipiendaire du prix Nobel.
- Jean-Marie DELARUE, conseiller d’Etat, contrôleur général des lieux de privation de liberté, un grand Honnête Homme, qui dénonça vigoureusement l’état scandaleux de nos prisons et les graves carences de notre hospitalisation psychiatrique.
- Le Pr Jean-Pierre DIDIER, du CHU de Dijon, qui à partir de 2008 me fit l’honneur de me proposer sa plume et nous livra dès lors régulièrement des articles de fond clairs et denses et des billets à l’humour insolent.
- La Dre Irène FRACHON, qu’il ne m’est pas besoin de présenter désormais et dont je découvris la force de caractère dès le début de son combat contre Mediator – Servier.
- Guylène GICQUEL, aide-soignante parmi tant d’autres, mais hors du lot puisqu’elle me proposa en 1993, à l’Hôpital le Parc à Taverny que j’avais reconstruit, d’impulser et animer une activité de sophrologie. C’est peu dire qu’elle rencontra l’hostilité plus ou moins ouverte de médecins et de kinés. Elle s’obstina, je la soutins, elle réussit. Aujourd’hui tout le monde applaudit consensuellement aux bénéfices avérés de la sophrologie.
- Louis GIORDANO, jardinier-poète, qui vint à mon hôpital d’abord pour y planter une vigne, puis pour réciter ses poèmes, puis pour m’inculquer les règles de la versification car, ancien enseignant, il désirait que les pieds, les rimes et les strophes soient aussi nettement ordonnés que les jardins à la française.
- Paulette GUINCHARD : le hasard voulut que je la rencontrasse en Franche-Comté au moment où elle devint secrétaire d’Etat. On lui doit d’avoir donné le jour à une prestation dont depuis 15 ans on parlait sans jamais l’instaurer : l’APA, allocation personnalisée d’autonomie aux personnes âgées.
- Le Pr Claude HAMONET, chef du service de médecine physique et de réadaptation au CHU Henri-Mondor, me dispensa fin 2006 un plaidoyer vibrant et brillant en faveur de cette discipline mésestimée en France, alors qu’elle est la clé de maladies au long cours qui gagnent en prévalence dans notre société où les personnes âgées sont nombreuses. Et il me montra avec une admiration touchante les tableaux peints par son père Léon Hamonet.
- Pierrette HEMON l’une des trois aides-soignantes qui exerçait avant mon arrivée à la tête du petit hospice où je débutais, me fit comprendre par son exemple qu’il n’y a pas une intelligence unique et universelle mais nombre d’intelligences différentes, chacune adaptée à une activité ; et dans le domaine soignant où la relation au patient est primordiale, cette intelligence-là elle la possédait à merveille.
- Jacqueline HERREMANS, avocate, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité en Belgique, qui contribua à faire adopter chez nos voisins dès 2002 une loi autorisant l’euthanasie, alors que la France, pays des droits de l’homme n’est-ce pas, ne parvient toujours pas à franchir ce pas.
- René JACQ, pionner de la grande génération des directeurs, Breton de Morlaix, ancien résistant gravement blessé devant Belfort fin 1944, fut entre 1973 et 1977 mon premier et seul directeur quand je ne l’étais pas encore moi-même. J’ai tout appris de lui, enfin pas tout car je ne l’ai pas écouté ou entendu avec la suffisante attention qu’il m’aurait fallu lui réserver.
- Le Pr Daniel JAECK, chirurgien hépatologue au CHU de Strasbourg, membre de l’Académie de Médecine, il évoquait avec passion sa « fièvre jaune », son amour pour le Laos où il passait plusieurs mois par an en mission de coopération et comment un jour, sur une plage de Hanoï il avait fait connaissance du général Giap.
- Le Dr Denis LABAYLE me fit l’honneur de participer de 2004 à 2015 aux revues de santé que je dirigeais. Il fut l’un des premiers à dénoncer la crise hospitalière (Tempête sur l’hôpital, Seuil, 2002) mais il est aussi un excellent romancier (Noirs en blanc et A Hambourg, peut-être ou encore Rouge majeur consacré au peintre Nicolas de Staël).
- Marie-France LAVENANT, une cadre soignante d’exception, redoutablement efficace, à la fois ferme et adaptative, exigeante et compréhensive, une main de fer dans un gant de velours ; les patients l’adoraient et parfois même les médecins l’écoutaient !
- Henri LECLERC, avocat qu’on ne présente plus tant il honore cette grande profession. Pour ma part je l’ai connu dès 1969 lorsque, militant gauchiste, je fis appel à lui pour défendre un camarade ouvrier du bâtiment injustement emprisonné et jugé pour avoir dénoncé une bavure policière. Au tribunal il plaida si bien que dans le public en majorité non militant, je vis de l’émotion et des larmes et notre ami en sortit libre.
- Jacques LESIMPLE, longtemps directeur des Hôpitaux du Léman (Evian – Thonon) qu’il gérait avec sûreté, précision et dynamisme, livrait chaque mois ou presque à mon magazine des billets remarquables de finesse, de profondeur et de lucidité désabusée.
- Le Dr Didier MENARD qu’il est superflu de présenter bien que la notoriété lui vînt sans qu’il l’ait recherchée : médecin de quartier infatigable à la cité du Franc Moisin à Saint-Denis, médecin des pauvres, honneur de cette profession des médecins libéraux en terrain difficile dont le nombre hélas diminue depuis plus de dix ans.
- Pierre MENGIN, un poète encore, un ancien patient guéri, mais alors bien guéri et qui par vieille manie dissimule un reste d’hypocondrie (que je ne prends jamais au tragique) derrière des centaines de vers allègres, ironiques et polissons !
- Serge MERELLE est ce que l’on fait de mieux en matière de kinésithérapie publique. Profondément attaché au parcours de soins des patients, dédaigneux des sirènes du monde libéral où il pourrait, comme dit l’autre, se faire « un pognon de dingue ». Il joua un rôle considérable, décisif et même principal dans un épisode où il s’agissait de réveiller d’une longue hypersomnie le dernier établissement qu’il me fut donné de diriger. Précision : Serge est Belge, prenons-en de la graine !
- François MOURGUES, directeur d’hôpital comme il y en a trop rarement. Certes il ne culmina pas comme DG de CHU, mais il fit mieux : il consacra la deuxième partie de sa carrière, de 1996 à 2015, au CH d’Alès, alors en grande difficulté dans une ville économiquement sinistrée ; à force de volonté, d’obstination et de courage, il remit d’aplomb les RH et la gestion sociale, redressa le budget, restitua sa réputation à l’établissement et construisit un hôpital neuf « HQE » à la pointe de l’innovation écologique et durable, rien que ça !
- Michel PACAUD. Ah Michel ! Sur un sujet, la gériatrie, malheureusement négligé par les « grandes voix » hospitalières, qu’elles soient médicales ou directoriales, Michel nous livrait dans chaque numéro un billet corrosif, incisif, jouissif, qui mettait le doigt sur nos carences béantes et cela lui valut parfois d’être regardé de travers par les « autorités ». Je songe souvent, hélas trop souvent, que s’il écrivait toujours, il serait encore plus caustique car l’état de la gériatrie institutionnelle ne s’est guère amélioré, sinon qu’on la livre de plus en plus au secteur privé lucratif.
- Yvette PELARREY directrice du Centre de rééducation cardio-respiratoire de Gorbio à Menton dans les années 80 : j’ai peu connu de directrices comme elle, énergique, franche, claire dans ses propos, ne se laissant pas balader et qui savait mener un travail d’équipe.
- Christian QUEYROUX me transmit les fonctions de rédacteur en chef du magazine qu’il avait créé six ans plus tôt. Il continua à livrer régulièrement d’excellents articles brossant les vilains défauts de la profession comme les pesanteurs de l’organisation hospitalière nationale. Il publia en 1998 un livre remarquable et remarqué (qui ne lui valut pas que des amis) : Endémie à Santos Aspasis ou L’anti-management hospitalier.
- René REGHEZZA : Il fut en 1977, en tant que maire de Roquebillière (06), mon premier président de conseil d’administration et il me supporta 12 ans, ne m’entrava jamais alors que je ne disposais pas au départ de la compétence juridique générale qu’on reconnut vers 1985 au directeur d’hôpital. Il me soutint sans restriction dans les moments les plus difficiles, même lorsqu’ils étaient parfois délicats pour lui. Bref nous fûmes amis et le restâmes jusqu’à sa disparition.
- Patrick SEILER, notre dessinateur caricaturiste de talent, sans lequel les revues dont j’eus la responsabilité auraient été encore plus barbantes. D’ailleurs le lectorat se jetait en premier sur ses dessins traitant avec férocité mais lucidité, humour mais profondeur, les milles et un petits ou grands travers du biotope hospitalier.
- Le Pr Didier SICARD, qu’on ne présente évidemment plus comme président honoraire du Comité consultatif national d’éthique, m’impressionnait chaque année par ses interventions de clôture des journées Euro Cos à Strasbourg et par les explications limpides qu’il acceptait d’apporter à mes questionnements de non-spécialiste de l’éthique.
- Jacques VERGÈS, avocat du diable disaient certains, car il avait défendu des accusés détestables voire infâmes comme Barbie, mais il faut à ces coupables-là, aussi, un défenseur pour que la Justice soit bien rendue. Il était doté d’une intelligence fulgurante qui comprenait ma phrase avant que je l’aie achevée et qui détectait immédiatement la moindre arrière-pensée. Un jour, l’apercevant pour la 4e ou 5e fois déjeunant dans le restaurant où il avait ses habitudes, je lui fis observer qu’il n’était pas prudent de s’attabler toujours à la même place, devant la vitre, alors que certains le haïssaient. Il me répondit sarcastiquement « Eh bien je mourrai comme Jaurès »
- Guy VERGNES, DG du CHU de Montpellier que je visitai toute une semaine en 2003. Les rapports avec lui 15 ans plus tôt, lorsque je sévissais dans les Alpes-Maritimes tandis qu’il était DG du CHU de Nice, n’avaient pas été paisibles, tant son CHU se taillait la part du lion de l’enveloppe budgétaire, laissant portion congrue aux petits et moyens établissements. Mais à Montpellier je dus constater et admirer qu’il avait insufflé un dynamisme exceptionnel.
Voilà, je m’arrête, ma modeste Académie devant se limiter à 40 membres comme la grande. Que les nombreuses personnes que je n’y ai pas incluses et que j’estime pourtant n’en prennent donc pas ombrage.
Certaines des 40 personnes citées sont hélas disparues, parfois depuis plusieurs décennies ; mais elles vivent en mon esprit et en mon cœur et donc demeurent Immortelles.
N.B. : Dans cette Académie, je n’ai pas placé de membres de ma famille : trop intime. Ni de personnages célèbres, dont le prestige n’a nul besoin de mon petit Panthéon personnel. Enfin, trois personnes appartenant à la sphère judiciaire et policière, auxquelles je voulais rendre hommage, n’ont pas voulu être nommées publiquement, étant encore en activité.
18 mai 2018