En ce mois de mai, comment ne pas songer à celui qui embrasa la jeunesse (dont j’étais) il y a 49 ans ?
Parmi les centaines d’idées, projets et slogans qui fleurirent alors, l’art, on semble l’avoir oublié, occupait une place éminente : l’art devait s’évader des lieux cultureux où il était confiné, descendre dans la rue et irriguer écoles, collèges, lycées, usines et prisons.
Malraux le roublard l’avait bien senti quelques années plus tôt et avait créé les MJC, mais en liberté très surveillée.
49 ans plus tard, quel bilan ?
La musique
La musique classique dans les rues et les usines ? Oui, un peu… surtout en Italie, avec des contestataires comme l’immense et regretté Claudio Abbado, qui chef puis directeur de la Scala de Milan, la rouvrait pendant la fermeture estivale annuelle pour diffuser gratuitement des opéras filmés aux ouvriers, aux étudiants, aux écoliers. Et avec l’orchestre de la Scala ou avec son ami le grand pianiste Maurizio Pollini, allait donner des concerts dans les usines, les universités, les lycées.
La musique classique par-delà les frontières et les conflits ? On pense immédiatement à Daniel Barenboim qui crée vers 1990 avec Edward Saïd une fondation, un atelier musical et le West-Eastern Divan Orchestra qui réunit 80 jeunes instrumentistes d’Israël, de Syrie, du Liban, d’Égypte, de Jordanie et des Territoires palestiniens, pour promouvoir la paix au Proche-Orient.
Mais au-delà de ces exemples prestigieux, le fait le plus marquant est que la culture musicale a explosé. Ceux qui se scandalisaient dans les années 60 de l’essor hégémonique des variétés à la faveur des nouveaux supports (disques et cassettes) n’avaient pas compris que ce réveil musical impétueux profiterait à toutes les musiques et à toutes leurs pratiques.
Dans ma ville natale, chère à Lucien Leuwen et à Jack Lang, il y avait en 1965 environ 200 apprentis pianistes… il doit y en avoir 4 000 aujourd’hui… Donc il faut être optimiste n’en déplaise à Alain Finkielkraut.
Les arts plastiques
Même chose pour la peinture et la sculpture, mais selon un parcours plus tortueux.
Car la peinture a accentué une évolution élitiste et hermétique venue de loin qui l’a radicalement coupée d’un public populaire.
Si bien qu’on assista à une sorte de dédoublement : la peinture « sérieuse » a conservé un public restreint tandis qu’apparut une peinture « variétés » qui s’est rapidement propagée dans le public d’autant que les reproductions et lithographies la rendaient financièrement accessible.
Le symbole dans les années 80-90 en fut Toffoli, une indigestion de Toffoli : on ne pouvait plus mettre les pieds dans un commerce branché ou chez des amis esthètes pour tomber sur des Toffoli. Ce n’était pas vraiment de l’art mais plutôt de l’objet décoratif plus ou moins classieux.
En photographie, 10 ans plus tôt et trois étages en-dessous, nous avions subi le tsunami David Hamilton, à l’érotisme aussi fade et un peu écœurant que les gummy candies.
Heureusement, survint l’art de la rue, le street art, puisqu’il reste ainsi dénommé, bien qu’il soit un peu né en France en Mai 68 et que nombre de ses artistes soient français : Jean Gabaret, Michel Espagnon, Ernest Pignon Ernest, Jef Aérosol, Speedy Graphito, Nuklé-Art, Ash, Gérard Zlotykamien et tant d’autres.
Le moins qu’on puisse dire c’est que les débuts du street art suscitèrent polémiques et indignations (légitimes il est vrai quand n’importe quel crétin ose dégrader de tags informes et laids des façades ou des véhicules…). On se souvient de la violence de la réaction contre le ministre Jack Lang lorsqu’il reconnut la dimension artistique du mouvement tag !
Oui, mais, il faut évoquer le marché de l’Art
Que les œuvres d’art se vendent et s’échangent sur un marché, pourquoi pas, il faut bien que les créateurs vivent et si possible un peu mieux que Van Gogh. Que Picasso ou Dali aient fait fortune cela ne me choque point : ils n’ont exploité personne.
Simplement je rêve qu’un jour nos enfants ou petits-enfants étendront aux arts plastiques la législation qui s’applique aux œuvres littéraires et musicales ; 70 ans après la mort de l’auteur, elles entrent dans le domaine public et appartiennent au patrimoine de l’humanité ou à défaut du pays de l’artiste.
Alors, alors seulement, le public, tout le public, pourra accéder à prix abordable à ces œuvres, à toutes ces œuvres.
Que des milliers de tableaux ou sculptures puissent échapper durablement à notre admiration parce que recelés dans les appartements de milliardaires voire même, horreur, dans des bunkers comme les Ports francs et entrepôts de Genève, donc pas même contemplés par leurs détenteurs, est une honte absolue. Au même titre que les soudards qui, de tous temps, pillèrent des pays vaincus pour remplir leur British Museum, leur Louvre ou les palais de Goering.
21 mai 2017