Marine Le Pen, en baisse dans les sondages et malmenée dans les débats, avait besoin d’un petit scandale pour que des médias tombent dans son panneau, la diabolisent et donc une fois encore apportent un peu de fiel au discours atrabilaire de son parti fasciste.
Le sujet ? Le prétexte ?
Sélectionné avec une intelligente malignité où l’on reconnait la griffe de son mentor Florian Philippot : l’Occupation, la déportation et l’extermination des Juifs ; le 9 avril elle déclare au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro :
« La France n’est pas responsable du Vél’ d’Hiv. S’il y a des responsables, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque, ce n’est pas la France. La France a été malmenée dans les esprits depuis des années. On a appris à nos enfants qu’ils avaient toutes les raisons de la critiquer, de n’en voir les aspects historiques que les plus sombres. Je veux qu’ils soient à nouveau fiers d’être Français. »
Et ça marche ! Avalanche de réactions ou postures indignées :
- Emmanuel Macron : « Elle commet une faute historique et politique. Cela prouve bien que Marine Le Pen est bien la fille de Jean-Marie Le Pen et qu’elle est le visage d’extrême droite que je combats »
- Benoit Hamon : « Si on doutait que Marine Le Pen est d’extrême droite, on ne peut plus en douter ! »
- Michal Maayan, porte-parole d’Israël, « condamne ces propos contraires à la vérité historique »
- Esther Benbassa sénatrice EELV : « Papa, l’homme du détail, doit être content »
- Christian Estrosi : « Marine Le Pen rejoint son père sur le banc de l’indignité et du négationnisme. »
- Le CRIF : « Ces propos s’inscrivent dans la tradition vichyste et collaborationniste de son père »
- L’Obs : « Tranquillement, Marine Le Pen dédouane la France de la responsabilité du Vél’d’Hiv »
- L’UEJF : « Cette déclaration de Marine Le Pen s’inscrit dans la lignée révisionniste du Front national »
Un sbire du FN, Nicolas Bay, peut alors rétorquer :
« La position de Marine Le Pen c’est celle du Général De Gaulle, de Georges Pompidou, de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand. La responsabilité de l’Etat français, en tant que régime de Vichy, est indéniable. La responsabilité de la France, non. (…) Engager la responsabilité de la France, ça reviendrait à légitimer le gouvernement de Vichy et son action. Ce qui serait absolument désastreux. Nous, nous avons une position très gaullienne, on considère que la France était à Londres, la France c’était pas Vichy »
Et voilà, une fois de plus, par sottise, inculture historique, conformisme intellectuel, certains ouvrent un boulevard au FN en faisant étalage d’ignorance historique.
Car il est exact que Charles de Gaulle, puis la IVe République, puis Pompidou, Giscard et Mitterrand n’ont jamais accepté que l’on impute à la France les crimes de Vichy.
J’ai en main le Journal officiel de la République Française du 9 août 1944, n° 65, page 688, qui publiait une Ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental :
« La forme du Gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n’a pas cessé d’exister. Sont, en conséquence, nuls et de nul effet tous les actes constitutionnels législatifs ou réglementaires… promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu’au rétablissement du Gouvernement provisoire de la république française. »
Oui, Journal officiel de la République Française ; tandis que Vichy, répudiant le principe républicain et démocratique, s’intitulait « gouvernement de l‘Etat français ». Vichy qui ne s’est pas emparé du pouvoir par les urnes mais par le blanc-seing d’un Parlement apeuré, incomplet, dans une France occupée.
Oui, comme l’exprima toujours de Gaulle avec force et constance, « Vichy et l’État français ne constituaient qu’une autorité de fait. » Et à la libération de Paris fin août 1944, à Georges Bidault qui lui demandait de rétablir la République, de Gaulle répondit qu’il « n’avait pas à la rétablir puisqu’elle n’avait jamais cessé, et que Vichy était nul et non avenu ».
Et dans la continuité de cette idée « Je ne ferai pas d’excuses au nom de la France. La République n’a rien à voir avec ça. J’estime que la France n’est pas responsable », déclarait Mitterrand en 1994.
Alors certes Chirac a révisé ces verdicts en juillet 1995 : « La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable » et l’ineffable François Hollande de dénoncer ce crime « commis en France, par la France ».
Maintenant qu’a disparu la génération des Résistants, cette question est désormais un débat d’Histoire, qui requiert sérieux, nuance, confrontation sereine des points de vue.
Qu’on n’instruise donc pas un procès crétin contre Marine Le Pen : c’est entrer dans son jeu, alors qu’il y a dans ses autres propos embarras du choix pour dénoncer son racisme, sa duplicité, sa nocivité. Il est affligeant que des idiots lui concèdent en quelque sorte le beau rôle sur ce sujet-là, elle qui est précisément la continuatrice de l’idéologie fasciste.
Quant à moi, dans la modeste condition de celui qui n’a pas vécu ces jours de combat et de fureur, je reste fidèle aux conceptions des Charles de Gaulle, Jean Moulin, Henri Frenay, Pierre Brossolette, Jean Chanton, François Mitterrand, prolongées par Séguin, Chevènement, Guaino.
Je suis horrifié, comme tout citoyen conscient, par l’étendue de la barbarie nazie, par les millions de crimes du fascisme, par la peste brune qui semble encore rôder çà et là en Europe. Je pense que nous n’avons pas fini d’extirper de notre société les racines de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie.
Est-ce amoindrir l’infamie de ces souillures historiques et la culpabilité de leurs auteurs et complices, d’affirmer qu’elles furent l’œuvre d’une bande de salopards et gangsters se dénommant « Etat français », mais pas de La France ! Dans ces moments même où, par milliers, des Français criaient « la France » en s’abattant au combat ou sous les coups des nazis et de leurs complices.
10 avril 2017