2016 10 14 : Fuocoammare, par-delà Lampedusa – documentaire

Il aurait pu, Gianfranco Rosi, filmer n’importe quel site magnifique de notre voisine l’Italie, qui en compte tant. Il aurait pu promener sa caméra au long de n’importe quelle côte idyllique, il en est des centaines de kilomètres, de la Méditerranée à l’Adriatique en passant par la Tyrrhénienne, l’Ionienne, et la Sardaigne, et la Sicile.

Alors pourquoi s’arrêter à Lampedusa, ilot paumé, territoire le plus au sud de l’Italie, à 200 km de la Sicile, tellement au sud qu’il avoisine la Tunisie et la Lybie. Et même que c’est là sa destinée ; hier carrefour des navigateurs carthaginois, grecs et romains, puis bagne, aujourd’hui cimetière. Combien de morts sont venus reposer au cimetière marin de Lampedusa depuis 25 ans ? A quoi bon les compter puisque le chiffre change tout le temps ?

Il y a aussi les vivants, heureux de survivre, malheureux d’avoir fui leur pays.

C’est cela que nous montre le documentaire de Gianfranco Rosi, d’autant plus scandaleux qu’il est beau.

D’autant plus honteux qu’il nous montre quelques journées dans les vies et les morts de Lampedusa et que cela fait 25 ans que cela dure.

D’autant plus déshonorant que cet ilot perdu, aride et désolé, peuplé de 6 000 autochtones à peine, c’est une terre de l’Italie qui n’y peut rien et de l’Europe qui ne fait rien, ou si peu, paralysée entre des gouvernants qui érigent interdits, barbelés et menaces et des démocraties qui multiplient les atermoiements pour marchander quelques centaines parmi ces dizaines de milliers de survivants.

Le documentaire de Gianfranco Rosi nous montre cela à travers le regard de Samuele, gamin qui va à l’école, s’amuse et chasse au lance-pierre. Il nous expose aussi la mission, j’allais dire la routine, des secouristes, des bateaux de sauvetage, des médecins, des soignants ; organisés, rodés pardi, qui attrapent les vivants par le col, repêchent les noyés, s’efforcent de réparer les corps et requinquer les âmes.

Il nous livre tout cela sans commentaire. Après un an passé sur l’île à regarder et filmer, a-t-il encore envie de commenter ? Pour livrer quelle appréciation sur ce monde qui est aussi le nôtre ?

Fuocoammare ? J’aurai appris qu’en sicilien cela signifie « Feu à la mer » et que c’est le titre d’une chanson traditionnelle.

Lorsque sortant du ciné, je passai inévitablement devant quelques réfugiés misérablement assis sur nos trottoirs, je me jurai que jamais je n’irai faire trempette à Lampedusa d’où peut-être bien ils arrivaient.

14 octobre 2016