Le 17 novembre 2015, quelques jours après les sinistres évènements de Saint-Denis et de Paris, j’avais exprimé la conviction que, dans les épreuves et les difficultés, il est, au-delà du cercle intime, familial, amical, deux secours efficaces : la musique et la littérature, singulièrement la poésie.
Et j’avais reproduit le poème de Louis Aragon : Paris, où fait-il bon même au cœur de l’orage…
Depuis hélas d’autres crimes sont venus ensanglanter notre peuple, à Magnanville, à Nice, à Saint-Etienne-du-Rouvray, mais aussi nos amis d’Allemagne, de Belgique et, à une échelle sinistrement incomparable, ceux des pays d’Orient… Et tout porte à croire que cela va continuer tant que les forcenés ne seront pas neutralisés.
Puisque les terroristes, évidemment incapables de nous porter des coups sévères en termes militaires, visent à détruire notre cohésion et notre moral, la musique et la littérature sont une de nos armes de riposte massive. Et, une fois encore, j’appelle à l’aide l’immense poète Louis ARAGON :
Je dis la paix pâle et soudaine
Comme un bonheur longtemps rêvé
Comme un bonheur qu’on croit à peine
Avoir trouvé
Je dis la paix comme une femme
J’ouvrais la porte et tout à coup
Ses deux bras autour de mon âme
Et de mon cou
Je dis la paix cette fenêtre
Qui battit l’air un beau matin
Et le monde ne semblait être
Qu’odeur du thym
Je dis la paix pour la lumière
A tes pas dans cette saison
Comme une chose coutumière
A la maison
Pour les oiseaux et les branchages
Verts et noirs au-dessus des eaux
Et les alevins qui s’engagent
Dans les roseaux
Je dis la paix pour les étoiles
Pour toutes les heures du jour
Aux tuiles des toits et pour toi l’
Ombre et l’amour
Je dis la paix aux jeux d’enfance
On court on saute on crie on rit
On perd le fil de ce qu’on pense
Dans la prairie
Je dis la paix mais c’est étrange
Ce sentiment de peur que j’ai
Car c’est mon cœur même qui change
Léger léger
Je dis la paix vaille que vaille
Précaire fragile et sans voix
Mais c’est l’abeille qui travaille
Sans qu’on la voie
Rien qu’un souffle parmi les feuilles
Une simple hésitation
Un rayon qui passe le seuil
Des passions
Elle vacille elle est peu sûre
Comme un pied de convalescent
Encore écoutant sa blessure
Son sang récent
La guerre a relâché ses rênes
La guerre a perdu la partie
Il en reste un son sourd qui traîne
Mal amorti
Ce sont les chars vers les casernes
Qui font encore un peu de bruit
Nous danserons dans les luzernes
Jusqu’à la nuit
Tu vas voir demain tu vas voir
Les écoliers dans les préaux
Et ce beau temps à ne plus croire
La météo
On va bâtir pour la jeunesse
Des maisons et des jours heureux
Et les amours voudront que naissent
Leurs fils nombreux
On reconstruira par le monde
Les merveilles incendiées
La vie aura la taille ronde
Sans mendier
Enfin veux-tu que j’énumère
Les Versailles que nous ferons
Les airs peuplés par les chimères
De notre front
Et l’immense laboratoire
Où les miracles sont humains
Et la colombe de l’histoire
Entre nos mains
Je sais je sais Tout est à faire
Dans ce siècle où la mort campait
Et va voir dans la stratosphère
Si c’est la paix
Eteint ici là-bas qui couve
Le feu court on voit bien comment
Quelqu’un toujours donne à la louve
Un logement
Quelqu’un toujours quelque part rêve
Sur la table d’être le poing
Et sous le manteau de la trêve
Il fait le point
Je sais je sais ce qu’on peut dire
Et le danger d’être d’endormi
L’homme au zénith et le nadir
A l’ennemi
Je sais mais c’est la paix quand même
Le recul du monstre devant
Ce que je défends Ce que j’aime
Toujours vivant
C’est la paix dont les peuples savent
Obscurément tous plus ou moins
Contre le maître et pour l’esclave
Qu’elle est témoin
C’est la paix des peuples où sourd
L’eau profonde des libertés
C’est au silence des tambours
Le mai planté
C’est la paix couleur de la preuve
Où le meurtre porte son nom
A qui le voile de la veuve
Dit Non
C’est la paix qui force le crime
A s’agenouiller dans l’aveu
Et qui crie avec les victimes
Cessez le feu
Publié en août 1954
(les accords de Genève sur l’Indochine
venaient d’être signés à Genève) ;
disponible aujourd’hui dans
Aragon – Œuvres poétiques complètes II
page 75
Bibliothèque de la Pléiade
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Et donc, s’il est nécessaire dans l’immédiat d’armer nos poings pour faire reculer le monstre, à terme c’est notre contribution à ce que la paix fasse taire les tambours là-bas où par milliers des enfants, des femmes et des hommes souffrent et meurent, qui réduira ici aussi les fanatiques au silence. Tout est à faire.
28 juillet 2016