Non, non, je ne vais pas littérairement disséquer le bulbe rachidien ni toute autre partie du cerveau de notre immense penseur national : ce labeur serait interminable et surtout désespérant pour moi-même, qui ne lui arrive pas à la cheville, qu’il a pourtant légèrement enflée.
Non, non, je ne vais pas soutenir que s’il s’obsède continûment du mot, peut-être est-ce parce qu’il ne pratique plus beaucoup la chose, litote conçue pour évoquer le déduit, le plaisir du sexe, understatement qui valut la célébrité, pour les siècles des siècles, au bon Gabriel-Charles de Lattaignant, prêtre du diocèse de Paris, chanoine honoraire de l’église métropolitaine de Reims, doyen de la chambre ecclésiastique, pratiquant en belle épectase cette petite mort jusqu’à sa grande, à quatre-vingt-deux-ans.
Non ; je vais ici sans retenue larmoyer (de consternation ou de rire, vous jugerez) sur une récente imprécation de notre jeune académicien :
« Oignon, le mot oignon, en lui-même, est très symptomatique, parce que oignon, le mot et la chose, font partie de notre vie quotidienne, et on se demande tout d’un coup au nom de quoi on lui enlèverait son « i ». Des gens ont eu le sentiment ‑ des gens dont je suis ‑ ont eu le sentiment qu’on touchait à un bien commun sans le leur avoir demandé… »
Ainsi parlait notre Alain (ne confondez pas avec l’autre Alain, Émile-Auguste Chartier, sauf à être cruellement déçu) dans Répliques, son émission attitrée sur France Culture, le 26 mars.
« Ail ! Ail ! Ail ! Il nous les pèle, non ? » direz-vous un peu vulgairement. Je désapprouverai alors votre manque de déférence envers le considérable.
Quant à moi, la larme à l’œil, je m’en tiens à l’analyse causale et rechercherai dans ma documentation ce qui vaut à l’Immortel quoique périssable Finkielkraut son soudain échauffement… Car, enfin, le bulbe est dispensé de son « i », non par un récent caprice de Mme Najat Vallaud-Belkacem qu’il exècre, mais depuis un rapport du très sérieux Conseil supérieur de la Langue française publié au Journal officiel du… 6 décembre 1990.
Serait-ce parce qu’existent, horreur, des oignons roses ? Parmi eux, ça ne s’invente pas, le Jack… comble de la vulgarité culturelle !
Et même, pires encore que les types rose pâle, des variétés d’oignons rouges ! Ainsi l’épouvantable Furio ou encore, incroyable mais vrai, le Figaro. Mais si ! L’eût-il su, l’Alain, aurait-il alors accepté de s’exprimer si souvent dans cette pelure douteuse ?
Mais peut-être s’effarouche-t-il, notre paléographe des mœurs et coutumes, de ce que, selon les botanistes, l’o(i)gnon commun actuel provient historiquement d’une espèce sauvage d’Asie centrale, donc des Huns d’Attila ou des Afghans du mollah Omar ?
Ou alors sait-il que, dès le Xe siècle, fut attestée la consommation immodérée d’oignons crus par les Siciliens, ce qui indubitablement, « a corrompu leurs intelligences, altéré leurs cerveaux, abruti leurs sens, changé leurs facultés, rétréci leurs esprits, gâté le teint de leurs visages et changé tout à fait leur tempérament, au point qu’ils voient tout, ou du moins la plupart des choses, autrement qu’elles ne sont en réalité » rapportait le chroniqueur et géographe arabe Mohammed Abul-Kassem ibn Hawqal, lequel ne pouvait néanmoins imaginer que neuf siècles plus tard cette gourmandise conduirait les Palermitains à la Mafia.
Je parierais qu’en sa grande culture, Alain F. n’ignore pas que la pelure d’oignon était utilisée jadis en musique pour la confection du mirliton, instrument qui sans doute ne comble pas d’euphorie ni d’euphonie notre intellectuel plutôt baroque.
Craindrait-il, ce géographe amoureux de la France profonde, que le francophone lambda ne confonde alors la plante liliacée sans son « i » avec la belle rivière Ognon qui baigne quelques cantons de la Bourgogne – Franche-Comté et fait les délices des pécheurs à la ligne et des kayakistes tranquilles ?
Ou avec Ognon dans l’Oise ?
Ou encore avec l’Ognon affluent de l’Ornain dans la Meuse ?
Je subodore enfin que l’Alain, patriote français et chantre des droits de l’Homme, après s’être détourné de la strictement maoïste Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCml) à peu près en même temps que moi, se défie avec répulsion de l’ognon depuis que, sur les 58 millions de tonnes annuellement commercialisées… 19 proviennent de la dictature honnie, la République Populaire de Chine, laquelle ne se limite donc pas à faire pleurer notre grand Timonier en nous inondant de camelotes – écrans plats ou smartphones – abrutissant nos masses populaires, mais aussi de denrées alimentaires maléfiques, avec ou sans « i » !
26 mars 2016