Ce soir, je fus emmené voir un film que sans doute je ne serais pas allé regarder spontanément, car les médias n’en ont pratiquement pas parlé, la campagne de promotion publicitaire fut modeste. Pourtant il mérite d’être vu.
Scénarisé et réalisé par la Tchèque Andrea Sedláčková, il se déroule en Tchécoslovaquie vers 1980.
Le bloc de l’Est porte alors au sport une attention politique considérable. Les exploits sportifs sont en effet un énorme moyen médiatique de prouver la supériorité du modèle soviétique. Moscou a accueilli les jeux olympiques en 1980 ; leur boycott par 50 pays occidentaux et musulmans (au motif de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge) a été ressenti comme une insulte, même si cela a permis qu’au classement des médailles, sur les dix premiers pays, sept appartiennent au bloc soviétique : Union soviétique, Allemagne de l’Est, Bulgarie, Cuba, Hongrie, Roumanie et Pologne.
Alors dans les années suivantes l’URSS et tous les pays satellites se mobilisent davantage encore pour glaner les records et les médailles, par tous les moyens. Tous les moyens… Le dopage n’était donc pas laissé à l’initiative aléatoire des athlètes ou entraîneurs, mais planifié par le ministère de la santé (!), sous le nom de traitement spécial.
On se souvient d’images intrigantes, attristantes, inquiétantes, révoltantes de ces gymnastes filiformes, de ces athlètes surgonflés…
Dans le film, inspiré d’une histoire vraie, le personnage principal est Anna, sprinteuse sélectionnée dans l’équipe nationale pour ses chronos ; mais pour lui donner le coup de pouce nécessaire, ses entraîneurs la gavent d’anabolisants. A doses telles qu’Anna subit un malaise. Elle décide alors de cesser le dopage, mais ne parvient plus à réaliser les mêmes performances.
Sa mère, elle, veut absolument qu’elle se qualifie dans l’équipe nationale pour les prochains Jeux Olympiques, pour la bonne cause : non pas celle du sport soviétique trafiqué et de ses dangers mortifères, mais… pour la liberté, car les jeux auront lieu à Los Angeles et la mère pense qu’Anna pourra saisir l’occasion pour passer à l’Ouest.
Anna ne voulant pas céder et reprendre les injections de stéroïdes, sa mère la dénonce à son entraîneur et s’allie avec lui pour en injecter à Anna à son insu, sous couvert de doses de vitamines.
Le film n’est sans doute pas un chef-d’œuvre d’innovation filmographique ; ceci dit, la mise en scène est sobre, précise et parvient à restituer l’ambiance lourde et hypocrite de l’époque ; l’image est de grande qualité (Baset Jean Stritezsky). Et surtout on y découvre deux remarquables actrices, au jeu tout en subtilité : Anna (Judit Bárdos) et sa mère (Anna Geislerová)
Sortant de la séance, j’aurais pu par ce beau soir d’été verser dans l’optimisme : la lutte contre le dopage a fait d’énormes progrès, le système soviétique a disparu et désormais le concert des nations condamne le dopage, au point que l’Agence mondiale antidopage a été instituée en 1999 et qu’en 2005 l’UNESCO a adopté la Convention internationale contre le dopage dans le sport. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes sportifs, les prochains J.O. seront propres.
Sauf que, m’attablant à une terrasse proche du ciné, mon regard tomba, hasard absolu, sur une page de Courrier international reproduisant un article du Sunday Times :
« Une étude de 2011 sur le dopage de l’université allemande de Tübingen était accablante pour le monde de l’athlétisme… elle a été censurée. Un tiers des sportifs interrogés avaient admis avoir pris dans l’année des substances illicites pour améliorer leurs performances. Interrogé quant aux raisons de cette non-publication, l’auteur de l’étude, Rolf Ulrich, répond sans ambages que la Fédération internationale d’athlétisme bloque le rapport. Il pense qu’ils sont de mèche avec l’Agence mondiale anti-dopage et qu’elle bloque tout le processus. »
Mais alors, le dopage n’était donc pas une déviance spécifiquement brejnévienne ?
16 août 2015