L’éternité n’est pas de trop est un objet littéraire curieux :
Un poème en prose ? Pas vraiment puisqu’il y a une intrigue romanesque explicite.
Un roman poétique ? c’est déjà mieux d’ainsi le qualifier, mais à l’affaiblissement de la poésie placée en adjectif, je préfèrerais encore l’union indissociable des deux noms composés : un roman-poésie.
Puis-je le prouver ? Evidemment non. Vous ne vous soustrairez donc pas à l’ardente obligation de le lire et à la joie profonde de l’avoir lu.
Puis-je en susciter le désir ? J’essaie un peu, avec une citation, une seule :
« Laisse-moi pénétrer ton jardin, tel un rayon de lune. Il éclairera tout sans rien bousculer. Il effleurera les êtres qui y vivent, ayant souci cependant de laisser les échos, les parfums et les mouvements poursuivre leur élan, tout de fraîcheur innocente. Femme qui as été bafouée par des désirs corrompus, qui as cherché à t’élever vers la confiante transparence et la légèreté aérienne. Je comprends ta nostalgie. Tu es allée bien loin. Peut-être trop loin pour moi. Mais crois-moi, je saurai te suivre. J’aurai toute la patience exigée. L’éternité n’est pas de trop pour que je te rejoigne. Pas à pas, je te rattraperai. » [1]
Car vous l’aurez compris ou deviné, ce roman-poésie est une histoire d’amour, merveilleusement contée, avec un équilibre rare entre des réflexions sensuelles crues et l’élévation admirable des sentiments. Se peut-il que les Chinois du XVIIe siècle aient eu cette élégance de l’âme ? Si Chang le dit, je le crois…
Quant à l’œuvre générale de l’auteur, ce qu’il y a de bien avec Cheng le catholique, Cheng le mystique, c’est que dans ses récits, la vérité qui ressort est exposée en termes de philosophie universelle ; et donc le non-croyant que je suis peut y être réceptif, suivre sa pensée, adhérer à sa réflexion sans pour autant consentir à sa foi.
6 mars 2015
[1] L’éternité n’est pas de trop, page 172 de l’édition Albain Michel de 2002.