Chaque semaine ou presque maintenant, des signes dévoilent une réelle menace contre l’esprit républicain en France.
Je ne songe pas aux provocations plus ou moins délibérées, outrances plus ou moins volontaires, scandales plus ou moins recherchés des composantes du spectre politique respectable, donc de l’extrême gauche à l’extrême droite (oui, car ne sont pas seulement respectables la droite, le centre et la gauche parlementaires, mais aussi les minoritaires non représentés, voire qui ne veulent pas l’être : quelque opinion qu’on en ait, ils sont légitimes en démocratie).
Je veux parler ici du ramassis de gredins qui ont comme point commun la détestation de la démocratie, de la liberté, du droit à penser différemment et diversement, de ce bric-à-brac de fascistes, nazis, intégristes religieux de toutes sectes, fanatiques en tous genres.
Dernière cible de leur « pensée » haineuse, la « théorie du genre » sur laquelle je ne dirai rien de plus car je la connais mal, qu’on a le droit d’accepter ou de réfuter, mais que ces gens-là portent au bûcher de leur obscurantisme.
Ainsi, selon eux le ministre de l’éducation, sous couvert du module pédagogique ABCD de l’égalité, voudrait dès l’école élémentaire introduire la propagande pour cette « théorie » afin de « détruire le modèle hétérosexuel de la famille » et inciter nos bambins à devenir homo, bi, trans, et que sais-je encore !
Pensée haineuse, car si les intégristes et fascistes avaient lu le module ABCD, ils verraient qu’il s’agit tout simplement de faire prendre conscience aux élèves des préjugés sexistes ; or n’est-ce pas l’un des rôles de l’école d’aider les enfants à se libérer des préjugés de toute nature ? Et depuis quarante ans au moins, les chercheurs sont pratiquement unanimes à dire que les gender studies sont utiles et nécessaires pour combattre les inégalités hommes-femmes.
Exemple, parmi tant d’autres, de la falsification opérée par les intégristes et fascistes : la sénatrice Laurence Rossignol déclare à la télé « Les enfants n’appartiennent pas à leurs parents ». Illico, les intégristes et fascistes lui font sur leurs blogs tenir ce propos : « Les enfants n’appartiennent pas à leurs parents, ils appartiennent à l’Etat. » Horreur! Donc il faut combattre l’entreprise orwellienne, totalitaire, du pouvoir socialiste !
J’ai dit quelquefois ce que je pensais de la propension de parlementaires à vouloir légiférer inconsidérément sur notre vie privée et nos libertés individuelles ; et j’ai assez souvent brocardé l’école et ses pédagos pour qu’on ne me suspecte pas de soutenir aveuglément les uns et les autres. Mais ici il faut prendre leur défense, car la propagande des intégristes et fascistes est infecte.
Que nos enfants ne nous appartiennent pas c’est une évidence… et c’est heureux : lorsque les enfants mineurs « appartiennent » à leurs parents majeurs, cela donnait, cela donne encore dans certains pays, l’exploitation des gamins dans les mines, les industries polluantes, les spectacles dégradants, ou des petites filles dans les bordels… Et ici – je veux dire dans nos rues et métros – cela nous montre encore des enfants mendiants ou accrochés aux basques de leurs mères mendiantes pour susciter la générosité ; et les services de police sont désarmés puisque ces enfants, justement… « appartiennent » à leurs parents.
C’est pourquoi, depuis plusieurs siècles, les penseurs se sont élevés pour que les enfants « appartiennent » un peu aussi, non à l’Etat mais à l’Ecole.
Parmi tant et tant de noms illustres, je citerai à nouveau (car je l’ai évoqué à propos de la sortie du très beau et amusant CD Bien éduquer ses parents), le grand poète libanais Gibran Khalil Gibran, mort en 1931, qu’on ne peut donc soupçonner d’avoir participé à la théorie du genre.
Relisons son magnifique poème intitulé, justement, Vos enfants ne sont pas vos enfants :
Vos enfants ne sont pas vos enfants
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même
Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas
Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées
Car ils ont leurs propres pensées
Vous pouvez accueillir leurs corps, mais pas leurs âmes
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter même en rêve
Vous pouvez vous efforcer d’être semblables à eux
Mais ne cherchez pas à les rendre semblables à vous
Car la vie ne revient pas en arrière ni ne s’attarde avec hier
Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants, telles des flèches vivantes, sont lancés
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini,
Et Il vous tend de Sa puissance
Afin que les flèches soient rapides et leur portée lointaine.
Puisse votre courbure dans la main de l’Archer être pour l’allégresse…
Que dire de plus ? Si vous voulez être archers aujourd’hui, alors dirigez vos flèches contre les intégristes et fascistes.
1er février 2014