26 novembre 2013
Hôpital & Territoires ne tient pas de rubrique nécrologique régulière. Mais l’homme qui vient de disparaître aujourd’hui fut à ce point exceptionnel qui nous fallait lui faire une exception.
Songez : le 18 juin 1940, il entend « par hasard » à la radio l’appel du général de Gaulle à la radio (par hasard ? il fallait néanmoins que quelque chose le porte, déjà, à écouter la BBC…). Chez lui, à Saint-Étienne, il organise (à seize ans, seize ans !) un groupe de jeunes convaincus comme lui qu’il faut résister. Puis il structure avec Jean Nocher, grand journaliste, le groupe de résistance et le journal clandestin Espoir (Espoir !). En 1942, il part à Londres s’engager dans les Forces françaises libres. Il s’enrôle dans les parachutistes du SAS, atterrit en planeur en Bretagne début août 1944, part sur la Loire, combat en Belgique, est parachuté aux Pays-Bas où il est fait prisonnier et fusillé. Fusillé, oui ! Mais il survit : blessé et protégé par le corps d’un de ses camarades exécutés, il survit grâce à une pièce de monnaie qui stoppe la balle qui devait être fatale.
Après la guerre, adhérent au RPF de De Gaulle, il devient conseiller municipal puis adjoint au maire de Saint-Étienne. En 1957, il adhère au mouvement Maternité heureuse, qui deviendra le Mouvement français pour le planning familial. Juriste, il s’assigne comme objectif de faire abroger la loi du 31 juillet 1920 réprimant la provocation à l’avortement et à la propagande anticonceptionnelle. Élu député UNR de la Loire en 1958-1981, il rédige la proposition de loi dépénalisant la contraception et tente d’y associer les autres députés gaullistes, mais sa majorité y est violemment hostile. Il fut même traité de « malfaiteur ». Néanmoins et grâce à son action inlassable, sera enfin voté un texte qui passera à la postérité sous le vocable de « loi Neuwirth », la loi n°67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du code de la santé publique.
En 1981, il est battu aux législatives. Il deviendra sénateur RPR de 1983 à 2001.
Il était donc devenu à maints égards un homme public au passé glorieux, mais tourné vers l’avenir et ayant une sorte de prémonition des questions qui allaient devenir de grands problèmes de société. Pensez : en 1977, oui 1977, il publie un livre Le fléau fiscal : Réforme ou révolution… Actuel, non ?
Le 25 octobre 2000, il dépose au Sénat le rapport n° 49 qui initie une proposition de loi relative à la contraception d’urgence, et qui deviendra la loi n°2000-1209 du 13 décembre 2000 modifiant l’article L. 534-1 du code de la santé publique pour y introduire des dispositions efficaces en cas de détresse :
« Les médicaments ayant pour but la contraception d’urgence et non susceptibles de présenter un danger pour la santé dans les conditions normales d’emploi ne sont pas soumis à prescription obligatoire. Afin de prévenir une IVG, ils peuvent être prescrits ou délivrés aux mineures désirant garder le secret. Leur délivrance aux mineures s’effectue à titre gratuit dans les pharmacies selon les conditions définies par décret. Dans les établissements d’enseignement du second degré, si un médecin ou un centre de planification ou d’éducation familiale n’est pas immédiatement accessible, les infirmières peuvent, à titre exceptionnel et en application d’un protocole national déterminé par décret, dans les cas d’urgence et de détresse caractérisée, administrer aux élèves mineures et majeures une contraception d’urgence. Elles s’assurent de l’accompagnement psychologique de l’élève et veillent à la mise en œuvre d’un suivi médical. »
En 2001 il rédige avec un autre sénateur d’envergure, que j’eus l’honneur de connaître, Claude Huriet, un Rapport sur la politique de lutte contre le cancer, lutte qui déjà souffrait de la dispersion des forces et de l’absence de stratégie opérationnelle (rapport n° 419 du 27 juin 2001), rapport qui « propose les voies et moyens de doter notre pays d’une politique coordonnée efficace et respectueuse des malades ».
Jusqu’au dernier jour de son dernier mandat, Lucien Neuwirth se préoccupa de questions importantes pour le bonheur des hommes, dans notre pays ou ailleurs : Action de la France dans la lutte contre les mines antipersonnel ; Annulation de la dette et aide publique au développement ; Mortalité maternelle dans le monde : aide publique au développement ; Politique de lutte contre la douleur et de développement des soins palliatifs ; Journée universelle des droits de l’enfant ; Politique de prévention du sida ; Accueil des personnes handicapées mentales ; Majoration de pension aux assurés parents d’un enfant handicapé ; Financement des organismes d’aide à domicile…
Ainsi donc, ma génération et les suivantes sont doublement redevables à cet homme, ce héros : ▪ de nous avoir libéré de la barbarie nazie ▪ d’avoir libéré la femme de l’angoisse permanente des grossesses non désirées, de la servitude que cela induisait chez nombre d’entre elles par acceptation d’une sorte de fatalité organique que la nature leur faisait subir depuis la nuit des temps… C’est grâce à Lucien Neuwirth, à Simone Veil et à toutes celles et ceux qui menèrent le même combat, que l’égalité concrète entre hommes et femmes est devenue enfin vraiment possible, libérée du principal facteur de sujétion biologique. Les jeunes filles lui doivent depuis plus de vingt ans d’être libérées de la panique subie en cas d’oubli ou d’omission d’une contraception anticipée.
Je n’ai pas connu Lucien Neuwirth, mais j’eus la chance d’en entendre souvent parler par Jean Chanton, l’un de ses compagnons de Résistance, qui me fit l’honneur de son amitié et de qui je pus faire apposer le nom à l’établissement public de santé que je dirigeai de 1977 à 1989 à Roquebillière dans les Alpes-Maritimes. J’espère, je souhaite qu’un grand nombre d’hôpitaux, bâtiments ou services choisissent maintenant de porter le nom de Lucien Neuwirth pour le transmettre de génération en génération.