La « question de société » des inégalités hommes – femmes revient régulièrement dans nos médias, car la France est peu exemplaire en la matière, qu’il s’agisse de rémunérations, d’accès aux emplois dirigeants, de représentation politique. Les écarts sont chiffrés, les tendances mesurées : nous progressons, mais lentement…
Plus personne n’ose encore légitimer cette iniquité et défendre ouvertement une prétendue supériorité masculine : moins d’absentéisme au travail, plus de combativité dans la compétition entrepreneuriale, un sens inné du management, l’aptitude à dominer les questions de technologie ou d’ingénierie, et quoi d’autre encore !
Aujourd’hui, au contraire, l’attitude politiquement correcte est d’invoquer révérencieusement des célébrités, pour ne pas dire des icônes. Alors sur des femmes admirables on fait de bons livres et de beaux films, qui visent le succès médiatique et peut-être aussi le succès… commercial.
En politique, cela commence avec Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Louise Michel, et s’amplifie avec Rosa Parks, Lucie Aubrac, Indira Gandhi ; on vient de nobéliser Leymah Gbowee, Tawakkul Karman et Ellen Johnson Sirleaf, 20 ans après Aung San Suu Kyi et Rigoberta Menchú, 8 ans après Chirine Ebadi et Wangari Muta Maathai.
En sciences on honore Marie Curie et c’est pratiquement la seule, la part des femmes ayant été congrue. En littérature on n’a pas oublié Marie de France ni Simone de Beauvoir, on lit dans la Pléiade les Marguerite Yourcenar et Duras, on nobélisa il y a deux ans Herta Müller…
La question prend une tournure discutable lorsqu’il s’agit ‑ tordant la lame émoussée du machisme dans l’autre sens ‑ d’accorder au sexe dit « faible » des qualités « naturelles » dont la gent masculine serait déficitaire… A partir du constat que, dans la plupart des domaines d’excellence, il y a moins de femmes que d’hommes célèbres, les conditions sociales pour postuler, être admises, faire carrière, leurs étant défavorables ; aller plus loin et affirmer que ces obstacles une fois levés elles seront plus nombreuses à se distinguer que les hommes…
Car se pose d’abord le problème du genre, qui défraya récemment la chronique : l’appartenance à un sexe se définit-elle selon les seuls critères anatomiques ou selon la construction sociale que l’individu subit ou choisit ? Comme disait une auteure précitée, « on ne naît pas femme, on le devient ». Faute d’accord sur ce point initial, tout raisonnement sur une « supériorité féminine » est biaisé.
En santé, nous venons de loin : ce n’est qu’en 1868 que les femmes sont autorisées à étudier la médecine et qu’en 1875 Madeleine Brès est la première docteur ; ce n’est qu’en 1930 que Thérèse Bertrand-Fontaine devient médecin des hôpitaux de Paris. On ne peut évidemment oublier le rôle de Simone Veil pour faire triompher le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes… mais c’est un homme, Lucien Neuwirth, qui 10 ans plus tôt avait réussi à légaliser la contraception…
La vanité du sexisme (masculin ou féminin), comme l’ignominie du racisme et comme les innombrables variétés de doctrines qui exploitent les dissensions entre groupes humains et catégories professionnelles, sociales, spirituelles, religieuses, présente le grave défaut ‑ à moins qu’elle n’offre l’énorme avantage ‑ d’esquiver ou retarder le dévoilement des véritables responsables (responsables, mais pas forcément toujours coupables) des crises, injustices et misères de l’histoire actuelle…
Cela dit… après avoir tenté d’affirmer notre rigoureuse neutralité dans la vaine querelle d’une prétendue supériorité féminine, il ne nous déplait pas, vraiment pas, de reconnaître que « l’homme de l’année », pour la santé française, révélée en 2010, confirmée en 2011, fut Madame Irène FRACHON…