Edito DH n° 140 septembre-octobre 2011 : Un soupçon de morale ?

Rassurez vous, je ne vais pas vous infliger le millième commentaire prétentieux sur ce qui s’est réellement déroulé dans la suite 2086 du Sofitel de New York, ou à la chambre d’instruction de Versailles, ou dans quelque antichambre où s’échangent des enveloppes bien garnies…

La morale à laquelle je pense, c’est celle dont le ministre de l’éducation Luc Chatel nous annonçait début septembre vouloir réintroduire les leçons à l’école primaire (laquelle annonce sera peut-être oubliée quand vous me lirez : dans ces temps où les valeurs politiques sont aussi volatiles que celles de mon portefeuille boursier, chaque matin une déclaration chasse l’autre).

La morale à l’école ? Mais c’est bien sûr ! N’est-ce pas là que la citoyenneté se forme ? Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un ministre annonce son retour : Xavier Darcos en 2008, François Fillon en 2005, Jean-Pierre Chevènement en 1984… Dans les temps plus anciens, cela s’appelait l’instruction civique ; et quand d’aucuns affirment que c’est l’esprit soixante-huitard qui l’a supprimée, ils se trompent : dans la décennie 60 elle était déjà tombée en désuétude….

Mais faut-il s’en tenir à ce périmètre élémentaire ? Comme disait le cher vieux réac André Frossard : « Il a été décidé qu’on reparlerait, dès les petites classes, d’éducation civique, d’honnêteté, de courage (…) il est dommage que l’école ne soit fréquentée que par les enfants. » [i] Alors, et pour nous en tenir aux métiers de santé, pourquoi ne pas enseigner la morale en faculté de médecine, en institut de formation et bien entendu à l’EHESP ? Et aussi, en formation continue, récurrente et obligatoire, dans les administrations d’Etat et les agences.

Ah les agences ! Ceux qui ces derniers mois ont eu le loisir et la patience de regarder sur la Chaîne parlementaire les auditions conduites avec intelligence et fermeté par le médecin et sénateur François Autain, dans le cadre de la mission Mediator, auront été affligés au spectacle de hauts responsables poussés dans leurs retranchements, yeux baissés ou regard fuyant, transpirants ou agités, trahissant rétrospectivement une amoralité irrémédiable…

Tous nos lecteurs n’ont pas lu Endémie à Santos Aspasis [ii] de Christian Queyroux, notre prédécesseur à la rédaction du magazine ; ni Tempête sur l’Hôpital de Denis Labayle [iii]. Dans ces livres, tout était déjà dévoilé : les petits arrangements entre amis de promotion, les vilaines manières entre condisciples de fac, les frasques, abus de pouvoir, frénésie d’activité libérale, compérages, dépenses somptuaires… Le mauvais film de Bernard, Jacques, Alexis, Joël et les autres.

Mais ces comportement immoraux et parfois illégaux ne sont que la pointe visible de l’iceberg : la partie immergée, la plus dangereuse pour le vaisseau démocratie sanitaire, ce sont la couardise à bas bruit, la lâcheté quotidienne, l’atermoiement comme stratégie, et toujours la prévalence du carriérisme individuel sur l’intérêt général. Face à ce mal proliférant, un enseignement plus énergique de la morale est évidemment nécessaire.

Mais sera-ce suffisant ? L’histoire répond par la négative : les tendances lourdes des appareils administratifs et sociaux découlent d’abord des choix politiques, de l’idéologique dominante, des valeurs promues ou négligées. Sans action citoyenne sur ces champs et un débat démocratique vigoureux, le discours moral ‑ qui de surcroît n’est jamais neutre ‑ n’est qu’alibi ou placebo…

Plus que jamais il faut d’abord relancer une réflexion rigoureuse sur le service public, sa finalité, son périmètre, ses outils, ses moyens, les statuts et la déontologie de ceux qui le servent…

 


[i] Excusez-moi d’être Français – Fayard, 1992

[ii] Editions DH Stratégie, 1999, épuisé : espérons qu’il sera réédité

[iii] Seuil, 2002