Quiconque, comme moi hélas, s’obstine à de mauvaises fréquentations : médecins, directeurs, cadres hospitaliers, ne peut que dresser un constat objectif : la lassitude et l’amertume ont considérablement progressé dans leurs rangs ces derniers mois. De cela, chacun donnera son explication : la T2A, qui taxe nos équipes médicales d’être trop haut perchées sur l’échelle des coûts ; la démographie médicale, qui ne s’arrange pas ; les réformes inachevées, le geste auguste du semeur étant plus photogénique que le dur labeur qui mène aux récoltes ; le casse-tête des RTT et CET, qui finit par tourner au sordide faute de n’être vraiment réglé…
Chez certains d’entre nous ‑ qui ne sont pas infime minorité ‑ ces tourments ont l’effet pernicieux d’oblitérer l’envie de se projeter dans l’avenir, de participer aux débats de fonds, et même de continuer à s’identifier à la communauté hospitalière. Récemment j’ai ainsi entendu, suffisamment souvent pour ne pas en être alarmé : « cette fois, je n’irai pas à Hôpital Expo, à quoi tout cela sert-il ? » Ce serait pourtant une grave erreur ! L’avenir peut toujours se façonner, même quand on croit avoir perdu la main.
Il est vrai qu’on s’est pas mal ingénié ces derniers temps à cliver la communauté hospitalière, si tant est que les optimistes – dont je suis – ont pu un jour, rien qu’un jour durant, croire à son existence.
Par exemple, qui eut récemment la géniale idée de souffler sur la braise, jamais tout à fait éteinte, des rivalités de pouvoirs entre directeurs et médecins ? On se félicitait d’avoir élaboré un bon compromis avec les pôles et conseils exécutifs, et patatras ! voilà qu’on reparle de « patron » d’hôpital : qu’en termes absolutistes ces choses-là sont dites… Voudrait-on ancrer définitivement l’idée – pourtant fausse ‑ que donner un pouvoir à une composante c’est forcément le prendre à une autre ? Que ces pouvoirs ne peuvent harmonieusement s’additionner, mais doivent toujours durement s’entrechoquer ? Or la vraie question des pouvoirs à l’hôpital n’est pas de nous chamailler ceux qui nous restent, mais d’en reconquérir sur le centralisme qui n’a cessé de les confisquer.
Autre effet pervers de l’actuelle déprime : on n’examine même plus les solutions lorsqu’il s’en propose d’honnêtes. Exemple : quelques-uns de nos lecteurs me reprochent récemment une excessive bienveillance à l’égard du rapport Larcher. Alors que justement, il a l’intelligence d’avancer enfin une alternative au « splendide isolement » de chaque hôpital… qui aboutit souvent à une « minable solitude ». Pour éviter cette décrépitude et la braderie des derniers pouvoirs hospitaliers aux ARH, pardon aux ARS, ou pourquoi pas… aux préfets de région (coucou le revoilà l’Etat jacobin qui jamais ne renonce !), l’alternative du rapport Larcher et de la FHF, ce sont les communautés hospitalières de territoire, instances où les arbitrages seraient rendus au niveau territorial pertinent… et où les hospitaliers garderaient la main !
Sans vouloir rabâcher, il faut redire combien la T2A fut d’emblée nimbée d’une telle ambigüité, lestée de telles arrière-pensées, que la situation présente, où le déficit approche le milliard d’euros, est tout sauf… surprenante. Il y a eu là, commise et poursuivie par quelques gouvernements et ministres successifs, une faute politique majeure.
N’allez pas croire que j’accable toujours les mêmes : la crise démographique médicale par exemple : ceux qui ont connu la deuxième partie des années 70 n’incrimineront jamais les politiques ni les administrateurs civils de la réduction du numerus clausus, car elle résulta d’un consensus hypocrite entre les théoriciens du « réduire l’offre pour réduire la demande, donc la dépense » et les corporatistes malthusiens de la médecine de ville « moins on vissera de nouvelles plaques, plus rapporteront celles déjà en place ».
Alors ? C’est dans ces temps difficiles que les hospitaliers peuvent démontrer que leur communauté n’est pas une fiction de tutoiements factices et d’accolades pharisiennes ; qu’ils savent converger sur l’essentiel, laissant de côté le subalterne. C’est pourquoi il faut venir nombreux à Hôpital Expo, fréquenter son forum, participer à ses conférences, et serrer les rangs !