Livre : Némésis médicale – L’expropriation de la santé – 1975

Ce livre a vingt-huit ans !

Et pourtant il n’a pas tellement vieilli… Ivan Illich est mort récemment, sa disparition nous impose le devoir de rappeler son ouvrage magistral et d’inciter celles et ceux qui n’eurent l’occasion ou n’avaient l’âge de le lire à sa parution en 1975 de se le procurer de toute urgence.

Certes, l’analyse de nombreuses questions de santé publique a depuis progressé, s’est affinée, leur problématique même a évolué et Illich, qui fut toujours attentif à l’avancée des connaissances et était d’une érudition impressionnante, aurait revu et augmenté ce livre s’il l’avait réédité avant de disparaître.

Mais tel qu’il est, quel potentiel de remise en cause ne conserve-t-il pas ! Lorsqu’il signalait que l’assainissement des grandes villes ou les adductions d’eau potable avaient préservé des vies au décuple ou centuple de celles sauvées par les soins médicaux, il faisait scandale ; aujourd’hui c’est une vérité communément admise. Il est impossible de résumer son discours dans le cadre de cette rubrique. Mais les titres de certains chapitres à eux seuls montrent l’actualité brûlante du propos : la iatrogenèse clinique ; le masque sanitaire d’une société morbide ; la médicalisation de la vie ; la capitulation du médecin devant le polytechnicien ; la contre-productivité paradoxale de la médecine ; la mort escamotée…

Le hasard veut que nous rendions ainsi compte, dans la même livraison, de ce livre déjà ancien et de celui de Didier Sicard. Alors, ami lecteur, lisez les deux, puis croisez-les : vous y découvrirez bien des harmonies communes, une passion identique pour la vérité extirpée d’une confrontation minutieuse et inlassable avec les réalités, une ardeur et souvent une indignation. Signe des temps ? L’un était contestataire, l’autre est scientifique. La radicalité apaisée succède à la radicalité militante. Mais qu’une radicalité s’exprime aujourd‘hui malgré l’envahissement de convergences factices, de consensus flasques et de connivences bien réelles, c’est bien là l’essentiel.

Dans la mythologie grecque, Némésis personnifiait la vengeance divine qui toujours vient punir la démesure, l’orgueil, la vanité irréfléchie de s’élever au-dessus de la condition humaine. Ivan Illich, au dernier chapitre de son livre, veut montrer que le respect de l’antique sagesse n’est nullement incompatible avec la marche du progrès si l’homme en retrouve la maîtrise. Didier Sicard ne dit pas autre chose.

par Ivan Illich
Collection Points Editions du Seuil
27, rue Jacob – 75006 PARIS 1975, 218 pages