Cette année-là, sur les plages, la température estivale fut aussi anormalement basse qu’elle s’était élevée dans nombre de services hospitaliers avec, aux urgences, un pic de plusieurs degrés « au-dessus des moyennes saisonnières ». Chaque après-midi, immanquablement, un orage et, chaque soir, au journal télévisé, un vibrionnant Sarkozy. Comme les Bleus déchus du football, les 35 heures étaient désormais l’objet de toutes les critiques bien-pensantes. DH, qui l’avait écrit un an avant avait eu « le très grand tort d’avoir raison trop tôt[1] »… et trop modérément puisqu’il n’avait réprouvé que la méthode, pas le principe. Et les fermetures de lits scandalisaient maintenant la même presse qui, une demi décade auparavant, déplorait au nom du dynamisme gestionnaire qu’on n’en supprimât point assez !
La dépression n’était plus aux Açores mais sur nos têtes et tout semblait aller de travers : rampait une nouvelle épidémie de légionellose ; paraissaient de mauvais chiffres de santé périnatale ; un ancien directeur des hôpitaux prenait un plaisir malin à s’essuyer les pieds sur son successeur encore en place[2] ; un ministre néophyte délivrait « urgemment » à nos EHPAD, en guise d’APA, une docte circulaire leur prodiguant des conseils de son propre aveu « élémentaires » : bien donner à boire aux personnes âgées, les promener au soleil mais à la bonne heure[3]. La rémunération de nos ministres se prenait soudainement à dépasser celle des DG de nos CHU et la loi « anti-Perruche », bon texte clarifiant la responsabilité, la faute et la réparation, était durement critiquée… Dans une lecture surprenante de cette même loi, la justice incriminait deux praticiens hospitaliers[4] pour… « assistance abusive à personne en danger » !
Pourtant, cette année-là, les récoltes céréalières furent abondantes, les arbres fruitiers magnifiquement chargés, les vendanges exceptionnelles[5]. Paris-plage fit un tabac. Une grande découverte aborda un nouveau continent de la génétique, ouvrant la perspective de progrès thérapeutiques considérables… Et, jamais la France n’avait tant dépensé pour sa santé : elle comptait 196 000 médecins, trois fois plus qu’en 1968, et les infirmières étaient passées de 150 000 en 1971 à 385 000. Le Gouvernement précédent avait noyé sous les milliards le moindre « départ de feu » hospitalier, faisant hurler les doctrinaires purs et durs et grimacer Bercy. Et certaines évolutions, pour être moins tonitruantes, n’en étaient pas moins significatives. Ainsi, le classement des hôpitaux, spécialité estivale du Point[6], ne souleva pas les réactions indignées des débuts et la satisfaction légitime des nominés pu discrètement s’épanouir sans plus être barbouillée de mauvaise conscience…
Tout était exagéré mais rien n’était inventé… Cette année là, DH Magazine comprit que les anciennes règles du jeu —jeu de rôles et jeu de dupes— étaient définitivement caduques. Que l’ironie était facile à s’exercer aux dépens des corporations rivales ou voisines alors qu’il s’agissait de faire un pas vers elles. Qu’affecter un regard goguenard permettait trop souvent de camoufler l’absence d’une vraie vision. Que tout autant qu’hier, l’esprit critique était absolument nécessaire : mais celui qui bouscule nos certitudes, pas celui qui attise nos prêts-à-moquer ; celui qui émule et rapproche les acteurs, pas celui qui les cloue dans leurs tranchées ; celui qui nous permet d’être radicalement responsables, donc parés à récuser les croisés qui nous voient toujours coupables.
Cette année-là, DH Magazine n’avait à proposer à ses lecteurs aucune énième recette miracle, évidemment « managériale » ou « stratégique », mais surtout ridiculement éphémère. Juste une conviction : que les vraies solutions seraient trouvées ensemble, tous partenaires hospitaliers associés dans leur élaboration minutieuse.