2020 06 04 : Gare à l’euphorisation déconfinolâtresque !

Depuis quelques jours déjà j’observe, en analyste freudien et sociologue durkheimien, un phénomène qui ne laisse pas de m’inquiéter : l’euphorisation déconfinolâtresque.

Les terrasses de bistrots et restos sont ouvertes ; les parcs, squares et jardins publics le sont redevenus ; les quais de Seine et du canal sont accessibles. Alors les gens indemnes et contents de l’être ne se sentent plus vivre, ou plutôt survivre, car ceux qui sont morts semblent oubliés et les grands convalescents restent confinés.

C’est peut-être aux terrasses qu’on frôle le ridicule. Celles et ceux qui n’ont pas été terrassés y sont.

Pourtant je les aime, moi les terrasses et je les fréquente assidûment depuis une bonne cinquantaine d’années (au lycée déjà je séchais la gym pour m’y aller prélasser !). Mais ce petit plaisir usuel, je ne prétends pas l’élever à la transcendance comme on nous le laisse entendre chaque fois que notre « mode de vie est gravement menacé ».

Celles et ceux qui triment pour le rendre possible, ce mode de vie des spritzeuses et sauvignoneux paonisants et festifs, ont d’autres soucis existentiels que de s’interroger sur la dimension ontologique des terrasses.

Lors, tout en m’attablant à l’une d’elles, sans brailler ni faire la roue, prenant sobrement la pose du penseur de Rodin, je cogite aux moyens de conduire ces gens hypercontents d’eux-mêmes à une plus profonde méditation. Que s’il est sympa qu’ils s’amusent comme dans le monde d’avant, il le serait aussi qu’ils participent un peu à faire surgir le monde d’après.

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Mais les y amener en douceur, évidemment. Car on ne change pas les mentalités à coups d’instruments contondants : Castaner s’y est essayé ; ni de phrases ironiquement méprisantes : Jupiter s’y est plombé ; ni de platitudes doucereuses : l’autre pleurnicheuse y a Buzyné sa crédibilité…

Et j’ai trouvé ! Impeccable ! Formidable ! 100% garanti !

Plus efficace qu’une contrition pénitentielle actée de 12 Je vous salue Marie et 18 Notre Père ; plus digeste que l’huile de foie de morue ; plus rapide que la lecture intégrale des pensums de Joyce ou Houellebecq ; moins banal qu’une cure de silence sur la Colline inspirée de Barrès.

Mon remède ? Regardez, contemplez attentivement, sans vous laisser distraire (je dis : sans lever les yeux !) un fort contingent (je dis : une centaine QSP) de tableaux sobrement déprimants du considérable peintre danois Laurits Andersen Ring (1854-1933).

Suivez scrupuleusement (je dis : sans tricher) ce traitement quotidien, et alors, alors, je vous certifie qu’enfin va sombrer votre humeur frivole, guillerette, futile…

Bref, niaisement contente de prendre toute terrasse bistrotière pour l’alpha et l’oméga de votre néo-existentialisme, alors que Fitzgerald le magnifique, le grand Sartre, le sympa Bénichou, l’inepte Sollers, piliers du Flore et des Deux-Magots, c’est fini mes amis !

4 juin 2020

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