2019 09 28 : Face à Greta Thunberg, des masques tombent

L’irruption de Greta Thunberg, militante suédoise de 16 ans pour la lutte contre le réchauffement climatique, et les réactions qu’elle suscite, sont parfaitement révélatrices.

Une adhésion à ses conceptions et à son discours se répand dans la jeunesse du monde entier comme une traînée de poudre, qui n’est pas sans rappeler d’autres précédents historiques.

Depuis quelques décennies j’observe les personnages qui occupent la scène publique et tout change : postures, allures, vêtures, coiffures, pilosités, tics gestuels et éléments de langage, idées consensuelles remodelées deux fois par an, mode été et mode hiver.

Tout change… sauf les traits de caractère fondamentaux : ceux qui sont louables et exemplaires (il y en a encore beaucoup, n’en déplaise aux nostalgiques du « bon vieux temps ») comme les moins bien et, hélas, les exécrables.

Car voici que sur le « phénomène Greta Thunberg » comme ils disent, ils sont nombreux à déverser leur dédain, leur mépris, leurs sarcasmes et leur stupidités en tout genre.

Et pas seulement ceux desquels on ne pouvait évidemment attendre rien de bon, jamais rien de bon.

Mais aussi des meneurs politiques ou d’opinion, qui avaient quelque temps fait mine d’approuver cette jeune fille et de la prendre sous leur aile considérablement protectrice, jettent le masque depuis son discours révolté et indigné aux Nations unies, le 23 septembre : « elle en fait trop, de quel droit, elle se prend pour qui » voilà le cri du cœur de ces nains politiques ou médiatiques.

J’en citerai quelques-uns, en vrac et dans le désordre de leur insignifiance, et en me limitant à la France.

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Parmi les politiques et au gouvernement d’abord : les bouffons s’expriment avec componction et apparente modération, mais ils bouffonnent : Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer, Brune Poirson, Agnès Buzyn entre autres.

Chez les néofascistes évidemment : le Dr Laurent Alexandre, cofondateur de doctissimo.fr, ex-madeliniste puis soutien de Macron, et devenu éminence de la Convention de la droite de Marion Maréchal et conférencier patenté à l’université d’été du RN, ne fait jamais dans la délicatesse « Les parents de Greta Thunberg sont des salauds ».

Et il déverse ses immondices à la louche : « la fin de l’économie moderne, programme chaveziste, anti-progrès, liberticide, malthusien, suicidaire, au bord de l’effondrement psychiatrique, il faut qu’elle aille à l’école et qu’elle se soigne. » D’ailleurs « l’écologie saborde la civilisation occidentale, le véganisme détruirait la France, encourageons les femmes douées à avoir plus d’enfants ». Charmant personnage libéral en effet.

Certains LR restent dans leurs obsessions habituelles : par exemple Laurence Trochu, présidente de Sens Commun, aile la plus réactionnaire de LR, estime que Greta Thunberg exprime « une forme de religion verte avec ses dogmes antihumanistes ».

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En plus minable, Nicolas Sarkozy, le 4 septembre devant un parterre goguenard de pontes du Medef, donc la plupart pollueurs mais non-payeurs, se paie grossièrement la tête de Greta Thunberg, poussant la délicatesse jusqu’à moquer son syndrome d’Asperger (dont elle ne fait pas mystère) : « elle n’est pas très souriante » dit-il avec un sale sourire entendu.

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Des journalistes (puisque c’est ainsi qu’on les nomme, par distraction sans doute), chiens de garde avérés du grand capital, évidemment aboient :

Pascal Praud de CNews : « Elle a pris à partie les chefs d’État dans un discours furieux. »

Ivan Rioufol du Figaro  y va en longue Rafale de son patron Dassault : « C’est une icône qui fait froid dans le dos. Une figure d’épouvante. On se demande qui est derrière cette jeune fille, qui la manipule, l’endoctrine. On se souvient de l’embrigadement dans les régimes totalitaires, les jeunesses hitlériennes, les jeunesses maoïstes… Son fanatisme m’inquiète. »

Vincent Hervouët sur LCI hasarde une perspective historique. « A l’ONU, il n’y a que les tyrans qui se font remarquer : Khrouchtchev, Castro, Kadhafi… Et là, on a un tyran de 16 ans. Elle a tort, la vestale fiévreuse ! » Un peu obsédé, le mec, non ?

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Sur LCI toujours, le rouge de rouge, je veux dire à l’écharpe rouge, Christophe Barbier : « Il y a un malaise au bout d’un moment. Toute l’histoire de l’humanité est émaillée de ces personnalités qui ont surgi et qui ont poussé des cris. Mais quand le cri devient une sorte de récurrence, de style, de punchline, ça sent le préfabriqué, ça sent la démarche intéressée. Elle n’apporte pas de solution concrète, elle est dans la revendication permanente, dans l’imprécation, ça ne fait pas avancer le débat. »

Sur LCI encore, j’attendais avec gourmandise le modéré Jean-Michel Aphatie et ce fut modérément savoureux : « Aller pleurer à la tribune de l’ONU, c’est un peu stupide. Porter plainte, c’est ridicule. La justice, il faut la laisser pour les vrais délinquants. »

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Eric Brunet, lui, s’est toujours trompé, il adore ça (il avait en 2012 pronostiqué à 100% la réélection de Sarkozy !) alors il a tout deviné : « Les attaques de Greta Thunberg contre certains hommes d’Etat ? J’ai l’impression qu’elle a frappé par erreur, comme à la sortie d’un bistrot quand on est un peu éméché et qu’on donne un coup de poing à son copain au lieu de taper le méchant. » C’est vrai que les propos de bistrot un peu beaucoup éméchés, il connaît, lui.

De certains médias plus respectables on attendait mieux… mais quand la domination de leurs affairistes-propriétaires est menacée, ils se lâchent.

Dans le domaine de la serviabilité soigneusement fardée, François Lenglet est évidemment la référence ; il en donne une nouvelle démonstration : « Le changement climatique, c’est un problème technique… ces solutions techniques une jeune fille de 16 ans ne peut pas les avoir. Je trouve ça désolant de voir que les adultes participent à cette espèce de contrition et d’autoflagellation qui ne débouche sur rien. » Débouchez vos oreilles, très cher M. Loyal de l’économisme pour les nuls…

Ou encore Jérôme Béglé, directeur-adjoint du Point : « Que Thunberg dise qu’une extinction de masse a commencé, c’est faux ! » Les centaines de scientifiques qui l’affirment sont donc des menteurs. Les dinosaures ont disparu ; les éditorialistes préhistoriques vont les suivre, j’espère. « Tous les enfants ont du génie sauf Greta Thunberg. Je la sens fanatisée, illettrée ou à peine lettrée. C’est inepte, ce qu’elle fait. » Chapeau le lettré !

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Les patrons, justement ? Beaucoup de milliardaires, ceux-là même qui de père en fils conduisent le monde industriel au chaos, rivalisent de mépris : Bernard Arnault bien sûr, merci patron ! qui déplore « son catastrophisme absolu, d’autant plus néfaste qu’elle ne propose rien, sinon de critiquer ».

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J’allais oublier… j’allais oublier bon sang ! Devinez quoi, devinez qui ? Mais le sociologue, bien sûr : aucun bon sujet médiatique ne peut s’achever sans l’avis austère mais respectable d’un sociologue sélectionné ; et nous fut livrée en coup de grâce sur BFMTV la sentence de Raphaël Liogier : « Greta Thunberg est caractéristique de l’effondrement du sens métaphysique de l’existence. Quand on n’a plus de projet métaphysique, on a des affrontements superstitieux, religieux. Le culte de la nature, avec cette opposition entre pureté et impureté. »

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Ce déferlement d’âneries et de méchancetés est très inquiétant… pour eux ! Comment avons-nous pu depuis des années écouter ces personnages, leur confier les responsabilités politiques, sociales et médiatiques ?

Et comment les croire encore un seul instant ? Ce climat qui se dérègle, ces océans qui s’acidifient, ces terres qui hurlent leur sécheresse, ces espèces animales et végétales qui disparaissent par centaines, ces frères humains qui par milliers et bientôt par millions souffrent et doivent fuir raz-de-marée, inondations, tempêtes… bref ce monde dévasté, c’est le leur, celui qu’ils ont fait, ou laissé faire et excusé les coupables.

Alors leurs masques tombent. Non-violent, je ne souhaite pas que leurs têtes tombent aussi, comme dans les périodes révolutionnaires du vieux Monde… Quoique, quoique…

Mais qu’au moins leur domination s’effondre, qu’ils disparaissent de la scène publique. Laissons faire la jeunesse : elle a des idées précises et une volonté neuve, tandis que notre génération patauge encore et encore dans les discours, les zizanies et la temporisation.

28 septembre 2019