Edito DH n° 81 janvier-février 2002 : L’œil du cyclone

Le présentateur du « 20 heures » le proclame, le commentateur autorisé le confirme, le journaliste spécialisé l’explicite, l’observateur patenté s’en persuade et donc nous en convainc : l’horizon hospitalier s’assombrit, le vent mauvais forcit, des quatre points cardinaux convergent les nuages. La tempête —cette fois c’est sûr— est pour demain… La météo des grèves indique une chute des hectopascals : internes, attachés, assistants, urgentistes, avec le renfort des bataillons des syndicats non signataires de tel ou tel protocole… Les mouvements dits sociaux des professions dites libérales : médecins généralistes ou infirmières, confirment eux aussi une climatologie perturbée. Quant au dialogue des partenaires sociaux, c’est l’œil du cyclone !

Et ces urgences qui explosent, cette responsabilité juridique médicale qui effraie ; ces lits qu’hier on supprimait, parce qu’ils coûtaient trop cher[1] et qui désormais nous manquent à la moindre épidémie, au moindre week-end prolongé. Et le stress médiatique qui braque son projecteur, tantôt sur les carences des équipes médicales —« Le Point » doit en être à son 5ème palmarès— tantôt sur les (forcément) grotesques gabegies administratives. Tel ancien doyen de faculté de médecine se taille un gros succès de librairie en publiant un réquisitoire sans nuance contre l’AP-HP[2]

Pire : l’analyste compétent, dédaigneux du sensationnel[3] mais fin connaisseur des « tendances lourdes », observe des dépenses ne ralentissant pas, des indicateurs de santé publique insatisfaisants, des taux d’équipement à la traîne (scanners ou IRM) et une récurrente indigence de la prévention et de l’éducation en santé. Plus insidieuse encore, l’impression de « sur-place » qui s’empare de l’acteur découvrant rétrospectivement que nombre des thèmes du débat d’aujourd’hui… sont les mêmes qu’il y a dix ans. A force d’affiner, sophistiquer, alambiquer, on ne franchit jamais le Rubicon !

Et pendant ce temps là ? La tutelle, qui n’en finit pas de disparaître des textes, se fait omniprésente sur le terrain. La contractualisation interne reste l’arlésienne délaissée par un intéressement non avenu. Et la contractualisation externe se conjugue à l’impératif : sur le mode de l’adhésion plutôt que sur celui de la négociation. Tandis que les malheureuses commissions de conciliation, faute d’être habilitées… à concilier, sont toujours —six ans après leur instauration— en quête d’une utilité minimale. Et le malaise des soignant-e-s qui s’alourdit, les procédures d’accréditation si lentes à venir, la gestion des ressources humaines en recherche de prospective et de perspectives ; l’improbable rénovation du statut du fonctionnaire. Voire le concept de service public, confronté, non sans interrogations ni craintes, à la peu ressemblante pratique de nos voisins européens. Point d’orgue : la pénurie des infirmières !

Que conclure, sinon qu’à l’approche de grandes échéances électorales notre pays est coutumier des morosités, déprimes et psychodrames ? Mais faut-il s’interdire de relever des indices pouvant, bien au contraire, nous porter à l’optimisme ? Ces forces positives, si elles se sentent bridées, montrent par là même qu’elles s’exercent. Ces compétences, si elles s’estiment mal employées, prouvent de ce fait leur existence. Et toutes ces innovations ! Non seulement les prouesses techniques des équipes de pointe mais, au quotidien le plus humble de milliers de services, leur recherche d’une meilleure prise en charge de la douleur, de la précarité, du grand âge et de la dépendance…

En démocratie, quand la nécessité d’une réforme se fait impérieuse, cette réforme n’est pas loin. Les débats électoraux à venir vont, d’une manière ou d’une autre, ouvrir des perspectives et libérer des blocages. Les conditions sont réunies pour concrétiser les acquis conceptuels, les réflexions des dernières années ; pour utiliser ces nouveaux outils et prolonger l’œuvre de nos aînés bâtisseurs. Après cette longue phase d’introspection inévitablement un peu compliquée, peut venir celle de la synthèse dans une simplicité retrouvée.

 


[1]-Ah ! l’énorme coût d’exploitation d’un lit vide…

[2]-Pr Philippe Even : « Les scandales des hôpitaux de Paris et de l’hôpital Pompidou », Le Cherche-Midi éditeur.

[3]-Non,non et non ! Nous ne parlerons pas ici de l’ARTT !