2017 05 26 : Lettres de la Guerre – film

Dans ma jeunesse avec mes amis je fréquentais le cinéma au moins une fois par semaine ; de préférence les salles classées « Art et Essai », parce que c’était un peu moins cher que les salles commerciales, mais surtout parce que nous avions l’impression flatteuse de contribuer ainsi à la noble promotion de la Culture, des Idées, du Progrès, de la Beauté, et Sans frontières bien sûr (dans ma ville c’était aussi l’époque inoubliable de l’essor du Festival mondial du théâtre universitaire).

Mais quand nous tombions sur une critique qualifiant telle œuvre de « film difficile » nous étions perplexes et tournions sept fois notre monnaie dans la poche avant de nous décider.

Difficile ? A comprendre ? A supporter jusqu’au bout ? A regarder dès le début ? Ou même de rester éveillé ? C’est vrai que certaines fois… En tout cas je n’ai jamais bien saisi cette formule ambiguë et qui pourtant fut très usitée.

Mais, 50 ans plus tard, l’éclair de compréhension m’est enfin venu en allant voir Cartas da Guerra (Lettres de la Guerre) d’Ivo M. Ferreira : un film difficile, c’est un film qu’il était a priori périlleux d’envisager, malaisé de réaliser, risqué de tourner, hasardeux de parachever… et aléatoire de commercialiser ; à cause du sujet, du scénario, de la trame, de l’enjeu esthétique, ou de tout cela à la fois…

Or ce film affronte tous ces obstacles : construit sur un échange épistolaire intime entre deux personnes, avec peu de dialogues, une intrigue minimaliste, une situation historique que l’on a tous oubliée… et en noir et blanc !

Pourtant le réalisateur s’en sort superbement. Il nous livre un jeune médecin militaire, grand écrivain portugais en devenir : António Lobo Antunes (Miguel Nunes), minuscule pion de la guerre coloniale d’Angola entre 1971 et 1973. Un an donc avant la Révolution des Œillets et l’effondrement de la dictature de Caetano, successeur de Salazar, que rien alors ne laisse prévoir.

Et comme c’était avant le smartphone, les SMS, textos, Messenger, WhatsApp, Viber et autres inventions diaboliques, António adresse à sa femme Maria José (Margarida Vila-Nova) des dizaines de lettres d’amour poétiques et passionnées.

Il y a certes la splendeur envoûtante des paysages angolais, la honte absolue d’une guerre colonialiste, l’infâmie de la violence comme réponse à l’aspiration à la liberté d’un peuple, une belle amitié entre ce médecin et son capitaine (João Luís Arrais) et quelques autres personnages attachants…

Mais on comprend vite que ce qui maintient debout António c’est son amour fou pour Maria José. Et si les valeurs affichées par le régime salazariste en décomposition en prennent pour leur grade, la finalité première du film n’est ni politique ni sociologique mais poétique : cette ambition est magnifiquement atteinte.

26 mai 2017

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