2015 06 29 : Terrorisme, surréalisme

A propos d’évènements d’actualité qui hélas se multiplient, le mot terrorisme est systématiquement employé. Peut-être trop ?

Quelle est d’abord sa définition ?

A tout seigneur tout honneur, le Littré : « Système de la terreur, pendant la Révolution française. » On mesure là combien le cours des siècles a rendu presque désuets les antécédents historiques.

Le Petit Robert, tenant compte de cette banalisation, propose deux définitions : « 1 Politique des années 1793-1794 en France – 2 Emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique et spécialement ensemble des actes de violence, des attentats, des prises d’otage civils qu’une organisation politique commet pour impressionner un pays (le sien ou celui d’un autre) ».

Dans notre code pénal [1] « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les actes suivants : les atteintes à la vie… les vols, les destructions, les dégradations et détériorations ainsi que les infractions en matière informatique…, la fabrication ou la détention de machines. »
« Constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionné aux articles précédents. »
« Constitue également un acte de terrorisme le fait de financer une entreprise terroriste… »

Selon la convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme du 16 mai 2005 : « Actes qui par leur nature ou leur contexte, visent à intimider gravement une population, ou à contraindre indûment un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou à gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ».

Curieusement, l’ONU n’a pas (encore) adopté de définition du terrorisme. Toutefois, en novembre 2004, un groupe de personnalités de haut niveau et le Secrétaire général ont proposé : « toute action qui a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d’un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d’intimider une population, ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s’en abstenir ».

On voit que ces définitions sont loin de coïncider exactement.

Qui est terroriste ?

Selon le tronc commun de ces définitions, sont terroristes, évidemment, les forcenés qui, au nom d’une doctrine religieuse, nationaliste, ethnique, ou toute autre aliénation que des déments peuvent engendrer, tuent des civils sans défense, des personnes étrangères à leur conflit, des intervenants humanitaires ou de secours, des militaires qui se rendent, sont prisonniers ou désarmés.

Mais terroristes aussi ceux qui, avec des armes sophistiquées, font des victimes qu’ils auraient pu épargner s’ils s’étaient concentrés sur les forces armées adverses.

Alors là, pardon ! La qualification de terrorisme s’élargit, non seulement à des groupes, réseaux, mafias, mais à des états. Actuellement, les frappes dites « chirurgicales » de nombreuses puissances, USA, Russie, Israël… sont éligibles à ce qualificatif selon de nombreuses ONG internationales.

Et l’histoire récente déborde hélas d’actions étatiques terroristes : non seulement celles du Japon militariste en Corée et en Chine, de l’Italie fasciste en Ethiopie, des Franquistes à Guernica, de l’Allemagne nazie sur Coventry et Londres, mais aussi des Alliés sur l’Allemagne et les pays de l’Axe, culminant avec l’horreur terroriste concentrée d’Hiroshima et Nagasaki.

Plus tard, il ne s’est pas passé une année sans crimes terroristes d’Etat envers les peuples en lutte contre le colonialisme et l’impérialisme économique, sans crimes terroristes d’Etats en leur sein envers des minorités, des sécessionnistes ou des citoyens luttant pour leurs libertés.

Terroristes, c’est le mot qu’employaient les nazis pour pourchasser, fusiller et déporter les résistants. Nelson Mandela, Yasser Arafat, David Ratziel, Menahem Begin, Ariel Sharon… furent qualifiés de terroristes par des instances ou dirigeants internationaux respectés.

Eteindre le terrorisme ?

Pas étonnant donc que le terrorisme non étatique se développe et se répande, par imitation, rancœur, soif de vengeance, réaction « normale » ou pathologique au terrorisme d’Etat.

Le terrorisme des états comme des groupes, on ne l’éteindra donc pas avec des frappes aériennes, des drones, des missiles, des bombes, des égorgements. La solution à terme résultera évidemment d’accords internationaux multipartites et en donnant à l’ONU une capacité d’arbitrage et un pouvoir de police qu’elle n’a pas. Hors l’ONU, point de salut.

Quant au terrorisme individuel, germant dans certains esprits hors de tout conditionnement collectif, on l’éradiquera, on le préviendra plutôt, par l’éducation.

Et je ne songe pas seulement ici à neutraliser, par une pédagogie appropriée (hors et dans l’école), les fanatismes religieux, nationalistes et ethniques.

Car il y a aussi un terrorisme intellectuel exempt de tout délire religieux, visée nationaliste agressive, élucubration raciste. On n’y pense pas d’emblée, alors que ce type de terrorisme existe pourtant. Voici en exemple une citation connue :

« L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. »

Il est vrai que l’auteur enchaînait dans les phrases suivantes une sorte de relativisation du propos initial :

« Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur a sa place toute marquée dans cette foule, ventre à hauteur de canon. La légitimation d’un tel acte n’est, à mon sens, nullement incompatible avec la croyance en cette lueur que le surréalisme cherche à déceler au fond de nous. J’ai seulement voulu faire rentrer ici le désespoir humain, en deçà duquel rien ne saurait justifier cette croyance. Il est impossible de donner son assentiment à l’une et non à l’autre. Quiconque feindrait d’adopter cette croyance sans partager vraiment ce désespoir, aux yeux de ceux qui savent, ne tarderait pas à prendre figure ennemie. »

Ce qu’on pourrait tenir pour une manière alambiquée d’aggraver son cas.

andré bretonOr ce terroriste tonitruant n’est pas n’importe qui ; c’est un Français « pur sucre, pure souche », issu d’une famille de la petite bourgeoisie catholique, profondément nourri de notre culture et totalement imprégné de notre civilisation [2], un écrivain important du XXe siècle ; il est enseigné dans nos lycées et plusieurs rues, écoles ou hôpitaux ont pris son nom : André Breton [3].

Terrorisme purement verbal dira-t-on. Sauf que le siècle précédent, comme le charmant siècle actuel, nous livrent maints exemples de pamphlets virulents, libelles théoriques outranciers, appels au meurtre symboliques… qui finirent par inspirer des tueurs de toute engeance.

Il faut attendre le dernier paragraphe du livre de Breton pour comprendre, enfin plus clairement, que sa phrase scandaleuse n’était qu’une image :

« Que l’homme use, au mépris de toutes les prohibitions, de l’arme vengeresse de l’idée contre la bestialité de tous les êtres et de toutes les choses et qu’un jour, vaincu – mais vaincu seulement si le monde est monde – il accueille la décharge de ses tristes fusils comme un feu de salve. » [4]

N’empêche… On a exécuté en 1945, et on a presque eu raison (mon « presque » est ici uniquement parce que, depuis avoir lu Hugo, je suis totalement allergique à la peine de mort) Robert Brasillach qui n’avait cessé sous l’occupation nazie d’appeler au meurtre, de demander la mise à mort de personnalités juives, notamment de Georges Mandel.

Breton pleiadeCeci dit, je précise, car il m’est nécessaire de l’énoncer, que non seulement je tiens Breton pour un écrivain de tout premier plan, mais surtout que cette bouffée de terrorisme délirant fut isolée chez lui [5] alors qu’elle fut obsessionnelle et réitérée des années durant chez Brasillach et Céline.

Il n’empêche : une stupidité mortifère proférée une fois une seule peut répandre son venin et enclencher chez quelque esprit faible un parcours vers le crime doctrinaire. La solution n’est évidemment pas de censurer les littérateurs, mais que les honnêtes hommes et femmes héritiers de l’esprit des Lumières y réagissent avec vigueur et sagacité [6].

29 juin 2015

[1] articles 421.1 à 422.7

[2] N’en déplaise à Manuel Valls, qui ces derniers temps surcharge d’outrances sémantiques des situations qui n’en ont pourtant pas besoin pour être inacceptables : en janvier il fustige un « apartheid territorial, social, ethnique » dans nos quartiers populaires ; aujourd’hui une « guerre des civilisations » à propos des égorgeurs se réclamant de l’islam.

[3] Second manifeste du surréalisme, 1930 – Pléiade, Œuvres complètes, vol. I page 782

[4] Ibidem, page 828

[5] La tyrannie doctrinaire fut certes une constante dans la vie du pape du surréalisme, mais on ne saurait la mettre sur le même plan que la citation précitée. On trouve d’ailleurs cette tendance autocratique chez nombre d’écrivains de première grandeur, par exemple Freud.

[6] Comme surent le faire d’ailleurs en 1930 un grand nombre de surréalistes qui fustigèrent vertement l’invective irresponsable de Breton.