2015 02 17 : La Pléiade – un certain mépris du lecteur

La plupart des articles qu’on lit sur la prestigieuse collection de La Pléiade chez Gallimard commentent, le plus souvent pour les louer, son prestige, la qualité éditoriale des ouvrages, le sérieux des spécialistes et chercheurs présidant à l’édition, l’appareil critique, la richesse des notes et notices, etc… Ce serait même, selon Mathieu Lindon de Libération qui ne loupe jamais une comparaison délicate, la « Rolls-Royce de l’édition ».

Par contre, je n’ai jamais lu rien qui s’intéresse au calendrier et au rythme de parution des ouvrages ; comme si cela allait de soi, comme si cet aspect concret était trivial ou devait rester à l’entière discrétion de l’éditeur. Ceci est sans doute assez illustratif de l’état d’esprit du milieu littéraire, peu regardant sur l’aspect concret de la politique éditoriale, alors que pourtant un livre est un objet qu’il faut d’abord avoir en main pour s’enrichir de son contenu.

Et là, il y a vraiment à redire quant à l’intervalle de parution très souvent abusif pour ne pas dire scandaleux entre les tomes lorsqu’une œuvre en requiert plusieurs. Là il faut vraiment critiquer vertement La Pléiade, au nom de tous ses lecteurs modestes qui ont commencé à mettre des sous dans l’achat du ou des premiers volumes et ne peuvent ensuite se permettre l’alternative de racheter l’œuvre chez un autre éditeur. Exemples :

Balzac : correspondance : le tome I est paru en 2006, le tome III est toujours « en préparation ».

Balzac : œuvres diverses : le tome I est paru en 1990, le tome III est toujours « en préparation ».

Hugo : œuvres poétiques : le tome I est paru en 1964, les tomes IV et V sont toujours « en préparation » ; record battu !

Marx : œuvres : le tome IV Politique I est paru en 1994, le tome V n’est pas même signalé « en préparation » et on ne sait pas davantage si ce sera le dernier ou s’il y aura des tomes VI, VII…

Nietzsche : œuvres : le tome I est paru en 2000, les tomes II et III sont toujours « en préparation ».

Orateurs de la Révolution française : le tome I est paru en 1989 bien sûr, le tome II n’est pas même signalé « en préparation » et on ne sait pas davantage si ce sera le dernier ou s’il y aura des tomes III, IV…

Sartre : publication de ses textes romanesques commencée en 1982 ; les écrits philosophiques ? On ne sait pas.

Shakespeare : œuvres complètes : le tome I est paru en 2002, les tomes VI et VII sont annoncés mais pas encore « en préparation ».

En outre… cela ne s’améliore pas.

OEuvres AristoteFin 2014 par exemple, la présentation d’un ouvrage a attesté non seulement d’une désinvolture mais carrément d’une faute. Il s’agit d’Aristote : le volume sorti en novembre est intitulé, sur le boitier, la couverture et le dos « Œuvres » ; il faut consulter le catalogue 2014 pour savoir qu’il s’agit en réalité du tome I. Et rien d’autre n’est précisé, ni quand paraîtra le tome II, ni s’il y en aura deux ou trois ou plus ! J’ai failli me laisser prendre ; heureusement, désormais je me méfie et donc j’ai acheté l’Aristote paru au même moment chez Flammarion et qui lui réunit en 2 000 pages les œuvres complètes, et pour le même prix !

Autre parti-pris irritant : les œuvres publiées en vieux français, donc pratiquement illisibles pour les non-spécialistes… Pourquoi pas une édition bilingue ? Par exemple pour Les Essais de Montaigne, ils se sont fait surclasser par l’excellent recueil paru chez Quarto en français moderne.

Et ces volumes qui commencent par être mentionnés « indisponible provisoirement » au catalogue ; 9 fois sur 10 cela devient l’année suivante « Epuisé ». Si vous aviez déjà acheté les premiers volumes… tant pis pour vous.

De même, vous aviez commencé d’acquérir l’Encyclopédie ? Elle restera incomplète sur vos rayonnages, car elle a été retirée du catalogue et des librairies sans préavis.

Qu’on n’imagine pas que je sois hostile à La Pléiade : j’en possède environ 200 volumes. Mais chat échaudé, je me méfie désormais et n’achète jamais plus une suite tant que son dernier volume n’est pas paru !

P.S. : Pour une belle illustration de mon propos, voir :

https://brumes.wordpress.com/2013/12/19/les-evolutions-recentes-et-futures-de-la-bibliotheque-de-la-pleiade/

Remarquable analyse (à mon avis) de la politique éditoriale et des évolutions successives de la collection, mais qui s’attarde très peu sur sa désinvolture à l’égard du lecteur et sur ce nombre consternant de chantiers inachevés.

17 février 2015