Livre : Nos aînés entre tutelle et canicule – 2006

Bavardages et pourtant…

Voici comment l’auteur présente son petit livre : Originaire du nord de la Corse, ancienne directrice à l’Éducation surveillée, atteinte par la maladie d’Alzheimer, placée sous tutelle extérieure à la famille, Camille Sacripanti, veuve Hagenbucher (96 ans), a été estropiée sur son lieu de vie médicalisé, traduite en justice suite aux comportements répréhensibles de son tuteur, et finalement condamnée par le TGI de Paris à payer à la place dudit tuteur. Le Canard enchaîné a titré « Aux fous ! ». Ripostant à une vaste campagne de presse, la juge des tutelles s’est faite menaçante, déclarant qu’un scandale médiatique aurait des conséquences très graves pour la vieille dame…

Frank, le fils cadet de Camille, a fondé le Collectif contre les abus tutélaires (CCAT). Il dénonce depuis dix ans un système d’État qui accomplit le pire du pire : la spoliation et la maltraitance d’innombrables personnes âgées, handicapées et vulnérables. Il stigmatise des synergies perverses entre Justice, Affaires sociales et pouvoir médical…

Élargissant son propos, il inscrit ces horreurs dans une évolution à la fois matérialiste et « tartufienne » du corps social, entre exaltation forcenée des droits de l’homme et désacralisation totale de la personne. Comment, dès lors, s’étonner de la place faite aux « Vieux » dans ce pays ? de l’exploitation de leur faiblesse et de leurs biens ? Refusant de s’appuyer sur l’actualité, de politiser le débat ou de prétendre à quelque exhaustivité, l’auteur se contente ici de cibler les contradictions flagrantes d’une évolution civilisationnelle marquée par les pathologies de l’hypermodernité. Son cri de colère est légitimé par une expérience directe et réitérée du système judiciaire et tutélaire.

Anthropologue, ex-directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), fondateur du Collectif contre les abus tutélaires (CCAT), Frank HAGENBUCHER-SACRIPANTI a fait sa carrière dans la recherche pour le développement, après être passé par l’enseignement de la philosophie et le journalisme. Il a travaillé en Afghanistan, en Afrique centrale (Tchad, Cameroun, Congo) et en Égypte.

Sachant cela, et la filiation et la formation de l’auteur, on comprend et admet sa charge pamphlétaire contre le système tutélaire, ses abus, ses lenteurs, ses malversations et son essence même qui est selon lui d’ordre totalitaire. Il n’a aucune indulgence pour le rapport Favard, qui selon lui atténuait considérablement la réalité des faits. Sa contestation est radicale ; donc contestable ; donc sur certains points excessive voire injuste. On supporte de longues voire pesantes digressions philosophique qui n’apportent rien ou pas grand-chose à son propos.

Un professionnel de la santé et de la gérontologie sera donc tenté de refermer le bouquin avec agacement. Et pourtant… Nous revient malgré tout en mémoire cette poignée de collègues qui, au début des années 1980, dans le Sud de la France, voulaient, sans chercher le moindre scandale, soustraire tout simplement leurs résidents à des mises en tutelle ou curatelle gérées inefficacement, abusivement ou… avec peu de transparence par deux ou trois associations ayant pignon sur rue : ils furent tancés par la DDASS et priés de ne pas entraver le « fonctionnement de la justice ».

Et pourquoi un si long délai, presque 40 ans ! pour moderniser le droit des incapables majeurs, qui était devenu totalement obsolète, alors que, sur le moindre des sujets, les pouvoirs législatif et exécutif manifestent une productivité textuelle frénétique ? M’en ouvrant un jour à un ministre en charge des personnes âgées, je ne m’attirai qu’un distrait « nous avons demandé un rapport là-dessus ». Et la récente réforme s’accompagnera-t-elle des moyens humains indispensables ?

Il y a plus attristant : même si le sujet ne passionnait ni les foules ni les médias, durant ces quarante ans, un nombre non négligeable de chercheurs, universitaires, intellectuels, ont stigmatisé ce délaissement tournant au scandale. Ce fut à leur honneur. Combien d’hospitaliers, directeurs ou médecins, gérontologues ou juristes, manifestèrent la même protestation ? Une misère.

Il faudra bien qu’un jour notre communauté hospitalière et médicosociale se livre à l’analyse sociologique de son trop prudent conformisme qui, dans certaines configurations, se traduit par un consternant silence.

Frank HAGENBUCHER-SACRIPANTI
10,50 €
L’Harmattan
16 rue des Ecoles
75005 PARIS