Livre : L’Hôpital en danger – 2005

Consternant.

Rarement nous n’avions abordé un livre avec un tel préjugé favorable : Véronique Vasseur, chacun s’en souvient, avait publié en 2000 un ouvrage retentissant, Médecin-chef à la prison de la Santé, qui n’était sans doute pas la première dénonciation de la honteuse condition sanitaire des détenus mais qui avait su trouver les voies et moyens d’une médiatisation nécessaire. Et puis ce livre qu’elle signe aujourd’hui est préfacé par le très estimable Emmanuel Hirsch, qu’on ne présente plus.

Alors, dès les premières pages, notre déconvenue n’en fut que plus pénible. Ce qui surprend d’abord, puis lasse par son côté répétitif, systématique, c’est le nombre de professionnels, dans cet Hôpital Saint-Antoine, qu’elle juge nuls ou arrogants, mesquins ou péremptoires.

Certes son « patron » est formidable (elle va si souvent se lamenter dans son bureau, page après page, qu’on finit sincèrement par plaindre cet infortuné chef de service). Mais elle doit supporter nombre d’internes stupides, « gourdes », « petits trous du cul », au « QI de moineau » ou encore « aboyeurs » ; des externes « mous » ; des médecins des urgences qui cherchent à lui « vendre de vieux AVC » ; des médecins remplaçants « paresseux » ; sans oublier le chirurgien « qui part en vadrouille » sans venir revoir son opérée… D’ailleurs, dit-elle, on n’a pas beaucoup d’amis à l’hôpital, juste des confrères qui vous poignardent au premier faux pas et existent en écrasant les autres !

Quant aux administratifs, devinez la dégelée ! Mais elle observe charitablement que si le médecin tend à « accéder à l’essentiel », hélas le « petit monde des non-médecins ne s’intéresse qu’à de toutes petites choses »

Certes ce bouquin contient malgré tout des réflexions auxquelles tout hospitalier ne peut qu’opiner, d’autant qu’elles ne sortent généralement pas du politiquement correct actuel, n’en déplaise à l’auteur qui voudrait bien paraître anticonformiste et dérangeante. Mais les clichés s’accumulent : les procédures et les habitudes hospitalières éprouvées sont forcément des rituels désuets, des « oukases à la con » ou des cérémonials ridicules.

Séquence émotion : Mme Vasseur ne manque jamais une occasion de nous montrer (discrètement, avec une subtilité qui force l’admiration) qu’elle a un cœur gros comme ça : après chaque décès elle pleure dans le couloir, après chaque dispute elle craque et doit partir deux jours en Bretagne faire du cheval ou de la voile… Elle se sent bien seule et cela lui tord le ventre. Ce n’est plus L’hôpital en danger mais Les choses de la vie ! Et c’est la même personne qui écrit sentencieusement que « placer un débat sur le plan émotionnel est inadéquat »

Mais là où notre malaise se transforme en consternation, c’est de percevoir peu à peu que Mme la docteure Véronique Vasseur n’apprécie que très modérément ses malades dès qu’à une pathologie « pure » ils ajoutent une altération caractérielle ou une faiblesse humaine. Ce que sait tout modeste acteur du Samu social ou agent hospitalier débutant, V. Vasseur l’ignore encore : les misères physiques et morales sont souvent indissociablement imbriquées.

Or donc, point d’indulgence : l’alcoolique « squatte » forcément un lit et « il ne m’amuse pas parce qu’il m’empêche d’accueillir de vrais malades ». Cette indignation de voir ses lits actifs abusivement encombrés, V. Vasseur la manifeste toutes les trois pages. En fait de modernité, cet « esprit indépendant » nous ramènerait, vite fait bien fait, au rigorisme et à l’esprit de géométrie (qu’elle déclare pourtant exécrer) du législateur du 30 juin 1975 et restaurerait la magnifique séparation, à la française, du sanitaire et du social !

Après cela, sa critique ‑ évidemment justifiée mais banale ‑ du manque de lits de soins de suite ou de longue durée résonne un peu curieusement. S’il luit paraît inadmissible de voir des « hébergements » prendre la place des « vrais » malades dans son service spécialisé c’est pour, la page suivante, protester qu’on lui adresse des « malades trop lourds ».

Et, reproche récurrent, tel SDF « un peu benêt, passif et assisté, a pris goût au logé-nourri gratuit ». Ainsi certaines personnes en précarité cherchent à abuser du système ; quelle honte ! Quelle découverte ! Ce serait tellement mieux si ces gens dans la mouise étaient exemplaires : on pourrait alors leur délivrer notre compassion en toute bonne conscience. Non que ces tableaux à la Zola n’existent pas : mais quel subjectivisme et quelle carence sociologique dans leur peinture.

Et parfois, quel archaïsme médical : sa description d’une « malade hystérique poussant dans les bras d’un kiné des petits cris de contentement de poule qu’on égorge » nous révèle une conception très Charcot haute époque ! Des malades alcooliques sont « infernaux » et « font du cirque ». A ceux-là Mme Vasseur « donne une chance » mais s’ils flanchent elle les « fiche dehors » ; quelle approche psychiatrique objective !

Dr Véronique VASSEUR
octobre 2005 – 263 pages – 17 €
Flammarion